Dans la radio de service public, une présentatrice qu’il m’est impossible de nommer journaliste, annonce, presque sur le ton que j’emploierais si je découvrais comment sauver le climat, qu’une entreprise innovante a trouvé un moyen de fabriquer des briques décoratives à partir des vêtements neufs jetés par les vendeurs de fringues, lesquels se montrent ravis d’acheter ces briques tant pour décorer leurs boutiques que pour prétendre œuvrer contre le gaspillage.
Et de nous vendre ça comme un truc écologique. Et mon cerveau de hurler de désespoir.
Je ne sais pas comment les choses se structurent dans la tête des autres. Mais il semblerait que bien des gens regardent une seule pièce du puzzle et en tirent les conclusions définitives qui les arrangent. Ici : « on a sauvé des fringues jamais portées du gaspillage ». Dans ma tête, ça ne fonctionne absolument pas comme ça.
Si on me parle de fabrication de vêtements, je commence par penser à la culture du coton, effectuée par des quasi-esclaves, sur des terres qui dès lors ne servent pas à produire de la nourriture – on parle tout de même de 2,5 % des terres cultivables mondiales, avec des quantités d’intrants, dont de glyphosate, absolument déraisonnables – 10 % des herbicides sont utilisés pour la production de coton- , avec des systèmes d’irrigation qui sont en train d’assécher de vastes régions – 8000 litres d’eau pour produire un seul jean.
Il y a ensuite l’industrie du vêtement qui utilise tout un tas de produits rigolos : chlore, ammoniaque, soude, acide sulfurique, métaux lourds, formaldéhyde, solvants … Autant de chimie dont la production et l’utilisation ont un impact non négligeable sur l’environnement. Et évidemment, de la production du coton à la fabrication des vêtements jusqu’à leur transport : l’industrie du vêtement consomme une blinde d’énergie.
Mais mon cerveau ne s’arrête pas aux impacts environnementaux : encore faut-il qu’il se souvienne du Rana Plaza. Le 24 avril 2013 s’effondrait le bâtiment du Rana Plaza, à Dacca, capitale du Bangladesh, provocant la mort de 1127 ouvriers de l’industrie textile, mettant en lumière la politique immonde de l’industrie du vêtement. Sur toute sa chaîne de production, on trouve aussi des enfants au travail.
Je visualise encore ces gigantesques cargos sillonnant les mers à grand renfort de pétrole, ces containers qui tombent régulièrement à la mer, ces marées noires potentielles.
Je vois plusieurs pièces du puzzle, j’ai conscience pourtant qu’il m’en manque beaucoup d’autres, et j’entends une présentatrice enjouée, payée avec de l’argent public censément pour l’édification des masses expliquer que tout va bien : on fait des briques décoratives avec la sueur d’enfants, des herbicides, l’eau de populations entières, et ça n’est dès lors plus du gaspillage.
Le pire, c’est que le soir, j’ai regardé une vidéo qui vantait le développement des éoliennes marines et que le discours était quasiment le même : on peut faire sans terre rare alors ça va. L’extraction de cuivre est en train de pourrir l’eau du Chili, mais on s’en fout. En Europe on n’enterre pas les pâles, on en fait du ciment ou on les brûle, alors ça va. Quel est l’impact à long terme de la présence de matériaux composites lors de la dégradation du ciment ? On s’en fout. La durée de vie courte des éoliennes, on s’en fout. Brûler des matériaux composites, on s’en fout. L’essentiel, c’est qu’à un instant t ça crache assez d’électricité pour qu’on ne réfléchisse surtout pas à commencer à faire baisser les consommations.
Une seule pièce de puzzle : celle de maintenant-tout de suite.
Et pourtant, l’équation est en réalité d’une simplicité enfantine : la seule chose qui ne pollue pas, c’est ce qu’on ne produit pas. Tout le reste est un leurre.