Archives de Catégorie: littérature

La Salamandre – bienvenue à bord

Si on m’avait dit « tu devrais lire des romans maritimes », j’aurais commencé par répondre « ah bon, ça existe ? » et j’aurais probablement ajouté « mwé bof, je sais pas, c’est pas mon truc la mer ». J’aurais donc dit deux bêtises de suite. Parce que oui, le roman maritime est un genre à part entière, et n’en déplaise aux bourgeois de la culture, la littérature de genre n’est pas de la sous-littérature, d’ailleurs Hugo lui même s’y est essayé, ensuite, c’est tellement pas mon truc que je viens de m’enfiler trois romans maritimes de suite. Bon, je triche un peu, c’est surtout qu’on m’a mis dans les mains un recueil des œuvres maritimes d’Eugène Sue – environ un kilo et demi – l’importateur du genre en français, et que je n’arrive plus à m’arrêter.

L’avantage avec Eugène Sue, c’est qu’il a suffisamment été marin lui-même pour ne pas raconter n’importe quoi. Et ce qui rend encore plus intéressant ses écrits, c’est que sa détestation des puissants et des bourgeois alliée à son humour sarcastique rendent l’ensemble fascinant au-delà des seules questions maritimes.

La Salamandre est donc un roman maritime publié en 1832 dans lequel Eugène Sue va dresser un portrait aussi précis que vivant de la marine de guerre et en profiter pour se moquer allègrement de la Restauration et du retour des nobles inutiles qu’elle a engendré. La Salamandre est le nom de la frégate dont on va suivre l’équipage, tous durs et braves marins bretons, sauf un qu’on nommera donc Parisien. On va beaucoup parler de la hiérarchie et de la discipline absolument indispensables pour que tout le monde rentre vivant au port, des beuveries à terre – et quelle beuverie épique va-t-il nous décrire ! – de l’abnégation des officiers les plus compétents. Sauf que voilà : à la Restauration, les nobles qui avaient fui le pays reviennent en France, et certains seront promus essentiellement par népotisme et en dehors de toute considération pour leurs compétences – ou leur absence de compétence. C’est ainsi que la pauvre Salamandre va se retrouver affublée d’un marquis pour commandant, absolument incapable de tout. Le roman aurait d’ailleurs pu être sous-titré « le triomphe de la stupidité ».

Évidemment, je pourrais vous raconter l’histoire, mais comme j’essaie de vous convaincre de découvrir cette œuvre riche et palpitante, je n’en dirai rien de plus, si ce n’est qu’il ne faut pas se laisser décourager par les premières pages : si Sue est un excellent auteur, ses introductions ne sont pas à la hauteur de ses conclusions. Mais La Salamandre tient autant du pamphlet que du roman maritime et ses conclusions n’ont absolument rien de démodé, ce qui est triste pour nous mais permet au moins de rendre l’œuvre intemporelle. Elle contient absolument tout ce qu’on peut attendre d’un roman : du fond, de la forme, de l’humour, de la colère, de l’aventure, de la réflexion. C’est vraiment trépidant, on le dévore et on arrive au bout un peu essoufflé par tant d’aventures.

La Salamandre ferait vraiment un film incroyable, mais comme personne ne le fera, il ne reste qu’à le lire.


Sécheresse, pas vraiment une dystopie.

Il y a sans doute quelque chose d’un peu masochiste à lire Sécheresse maintenant que le réchauffement climatique la provoque partout pour de vrai, mais il y a surtout quelque chose de fascinant au fait que J. G. Ballard se soit dit en 1964, à une époque où personne ne parlait du dit réchauffement et où l’écologie balbutiait, qu’il allait écrire un livre post-apo sur le sujet.

Même si vous ne connaissez pas J. G. Ballard, en fait vous le connaissez un peu : c’est Christian Bale, ou du moins c’est le jeune garçon incarné par Christian Bale dans l’Empire du Soleil, film tiré de son autobiographie. Il a aussi écrit le roman dont Cronenberg a tiré Crash. Sécheresse est publié dans une collection « science-fiction », mais on ne sait pas trop pourquoi. Ou alors il faut aussi publier La Route de Mc Carthy dans le même genre de collection. Anticipation, à la limite, mais ça n’est pas la même chose.

Comme à l’époque de son écriture, donc, on ne parlait pas encore de réchauffement climatique, Ballard invente une autre cause à la sécheresse mondiale : une cause fictive dont on se dit « ah ben oui, ça aurait aussi pu être ça », parce que le monsieur était écologiquement lucide : il savait bien que nous ne pourrions pas jouer aux consommateurs indéfiniment sans conséquence sur l’environnement. Et ça n’est pourtant pas le cœur du roman. A l’inverse d’une grande part des œuvres post-apo, il n’explore pas non plus les mécanismes de la survie, et c’est sans doute ce qui en fait un roman singulier. C’est même tout l’inverse : c’est le renoncement qui est le moteur, ou de fait l’absence de moteur, de son personnage principal. Dès lors, ceux qui cherchent un héros surpuissant à qui il arrive tout un tas d’aventures dont il se sort toujours parce que c’est à ça qu’on a envie de s’identifier vont être déçus. Ballard est beaucoup plus réaliste quant à la psychologie humaine : son personnage principal se laisse porter par les événements qui le dépassent, spectateur impuissant d’un monde effondré.

L’écriture est sans fioriture mais sans simplisme : efficace. A dire vrai, c’est la première fois depuis bien longtemps qu’un roman est venu me hanter jusque dans mon sommeil, et un mauvais livre ne saurait pas faire ça. Dès lors, je ne sais pas si c’est une lecture adéquate pour les gens déjà éco-anxieux, mais ça serait quand même dommage de passer à côté d’un ouvrage prophétique et autrement plus profond que les autobiographies bourgeoises contemporaines qui occupent tout l’espace médiatique sans avoir grand-chose à apporter aux lecteurs : Ballard, au moins, a vraiment quelque chose à dire de l’humanité.


Le Double de Dostoïevski : une histoire de folie

Sur l’échelle d’épaisseur des romans russes, Le Double de Dostoïevski est une nouvelle : un peu plus de deux cents pages, ça fait moins peur. Mais en matière de littérature, on ne peut pas se fier à l’épaisseur pour déterminer la difficulté d’accès : personnellement, et pour rester chez Dostoïevski, j’ai trouvé Crime et Châtiment beaucoup plus simple à lire.

Mais ça n’est pas parce que c’est plus ardu d’accès que c’est moins bon : il faut juste un peu de temps pour entrer dans le texte. Et ce parce qu’ici, entrer dans le texte signifie entrer dans la tête du personnage principal qui est en train de la perdre, justement, sa tête. Et n’allez pas croire que je vous divulgue méchamment l’intrigue pour vous gâcher le plaisir : c’est Dostoïevski lui-même qui le fait. A l’opposé des modes de narration actuelles avec plein de suspens, lui annonce toujours le contenu de ses romans dès le titre : il y a un crime suivi d’un châtiment, ou, ici, il y a un gars qui croise son double et si on n’est pas dans un roman de science-fiction, et ça n’est pas le créneau de Dostoïevski, c’est que la santé mentale du personnage n’est pas au top de sa forme. Si son compatriote Tolstoï est le maître des fresques politico-sociales, Fiodor, lui, est celui des tréfonds de la psychologie des individus. Donc voilà : on sait tout de suite que le personnage est en train de partir en cacahuète, quelque part entre le délire de persécution et les bouffées de toute-puissance, on se doute bien que ça va mal se terminer, et tout l’intérêt de la lecture sera de voir comment l’auteur va traiter ça, comment il va nous emmener loin dans les pensées d’un personnage abîmé, et comment il va nous montrer que la folie peut être en réalité un mécanisme qui relève de l’ultime pulsion de vie.

Tout le génie de Dostoïevski réside autant dans sa capacité à décrire la folie de l’intérieur que dans celle de nous faire suivre un personnage qui n’a par ailleurs pas grand-chose d’attachant. Fonctionnaire moyen en tout, lâche, désagréable voire parfois carrément méchant indépendamment de sa folie, on ne tremble pas à l’idée qu’il ne se relève pas. On assiste à sa chute de l’intérieur avec détachement, jusqu’à un certain point. Voilà ce qui fait tout l’aspect fascinant de Le Double.

D’habitude, j’évite de parler du contenu précis d’un roman, mais ici ça n’a vraiment aucune importance : l’histoire est en soi archétypale, l’intérêt profond réside absolument dans la manière dont elle est traitée par l’auteur. Il me semble que quiconque souhaiterait écrire un roman devrait commencer par décortiquer celui-ci pour savoir comment donner une substance psychologique riche à ses personnages.

Bref : n’ayez pas peur, lisez Dostoïevski.


La Maison de mes Pères, récit arctique

Si on me demandait de nommer mon écrivain préféré, je serais bien en peine de répondre, ou la réponse changerait en fonction de mon humeur, ou je ferais une très longue liste. Par contre, si on me demandait qui est l’auteur que j’ai le plus relu, je n’aurais pas la moindre hésitation : ce sont les racontars arctiques de Jørn Riel auxquels je reviens le plus souvent, parce qu’il y a là-dedans tout l’humour et la tendresse qu’il est possible de trouver dans un livre.

Je pensais avoir lu tous les récits arctiques de l’écrivain danois, et voilà qu’au hasard d’un fond de caisse dans une bourse aux livres, je découvre Un Récit qui donne un beau visage, dont j’ignorais l’existence. Et pour cause : il n’a pas été réédité depuis plus de vingt ans. Il s’agit du premier tome d’une trilogie nommée La Maison de mes pères, le deuxième étant Le Piège à renards du Seigneur et le troisième La Fête du premier de tout. Trois courts ouvrages, donc, dans lesquels je ne comprends absolument pas comment Jørn Riel arrive à raconter autant de choses en si peu de pages.

Quoi que la trilogie soit indépendante de la série des racontars, on en retrouve certaines caractéristiques, avec beaucoup de choses en plus.

Le narrateur est Agojaraq, un jeune homme métis qui nous raconte l’histoire de sa famille, c’est à dire de ses cinq pères trappeurs et de sa nourrice autochtone. On apprend en effet dès les premières pages que sa mère, autochtone également, a habité un certain temps avec les cinq trappeurs, venus des continents européen et américain, hommes pas tous moralement recommandables selon les normes occidentales. Agojaraq est né sans qu’il fut possible de déterminer lequel des cinq était son géniteur, tous devinrent donc pères. Sa mère quitta les lieux pour d’autres aventures sans emmener son fils, et l’on apprendra un peu plus tard comment ces hommes quelques peu balourds avec un bébé intégrèrent une vieille femme autochtone à leur famille. Et c’est sur la base de cette histoire de famille particulière que Jørn Riel construit la famille la plus saine et la plus épanouissante de toute l’histoire de la littérature.

L’auteur a une tendresse infinie pour ses personnages. S’appuyant sur sa propre expérience des grands froids, il nous raconte un univers beaucoup trop rude pour qu’on puisse se laisser aller à juger son prochain. La Maison de mes pères est une histoire de respect, de tolérance, parfaitement dépourvue de niaiserie. C’est drôle, tendre, parfois triste ou mélancolique, satirique quand il s’agit de parler du monde occidental et de ses normes, de son racisme, de sa propension à toujours se croire supérieur en tout. C’est un long voyage qui passe bien trop vite, écrit si simplement que c’est accessible à tous, mais avec une technique qui fait de chaque phrase un petit bijou en elle-même. C’est une œuvre qu’on termine en sachant qu’on y reviendra, parce que ça fait un bien fou.

Malheureusement, c’est introuvable en neuf, mais de drôles de gens en vendent en ligne des exemplaires d’occasion, et pour les possesseurs de liseuse, la version électronique se trouve très facilement. Ça serait vraiment dommage de se priver d’une trilogie aussi savoureuse et riche. Et si vraiment vous n’arrivez pas à vous la procurez, n’hésitez pas à vous rabattre sur les racontars arctiques.


Hadji Mourat, une histoire de colonisation

Hadji Mourat est le moins tolstoïen des romans de Tolstoï à plusieurs titres. Pour commencer, il est court, moins de deux cents pages si on enlève la préface – ne lisez jamais les préfaces, en particulier celles des romans de Tolstoï, avant d’avoir terminé l’ouvrage, l’essentiel relève de la mauvaise paraphrase de l’œuvre, du spoiler – les notes et les cartes. Ensuite, il n’y a aucune considération sur l’agriculture, et à peine plus sur la foi, les deux obsessions de Tolstoï. Enfin, il ne se déroule presque rien ni à Pétersbourg ni à Moscou : tout se passe dans le Caucase.

Mais ça n’en est pas moins passionnant à découvrir, d’autant que Hadji Mourat est un personnage historique. Il était le chef des Avars, l’un des peuples de l’actuel Daghestan, région voisine et tout aussi musulmane de la Tchétchénie. Au début du XIXe siècle, sous les prétextes fallacieux habituels des colonisateurs – en substance, « on va aller civiliser ces sauvages montagnards même pas chrétiens, c’est dire s’ils sont barbares – la Russie voulait « pacifier » le Caucase où personne n’avait rien demandé. Jeune soldat, Tolstoï avait participé à cette guerre et, vieillissant, il a souhaité écrire l’histoire tragique de Hadji Mourat. Si on transposait l’histoire chez nous, c’est comme si Hugo avait écrit un roman sur l’histoire de l’émir Abdelkader.

C’est passionnant à lire car de ce côté-ci du monde, on ne connaît pas bien, voire pas du tout, l’histoire du Caucase. Cette guerre de colonisation a pourtant duré presque cinquante ans, et à y regarder de près, ça donne quelques clefs pour comprendre le bazar actuel en Tchétchénie et au Daghestan. Pacifiste convaincu, Tolstoï dézingue le tsar Nicolas 1er, piètre tacticien prêt à raser des forêts entières pour ôter toute possibilité de planque aux Caucasiens, et écrit quelques unes des plus belles pages anticolonialistes de la littérature, ne passant pas sous silence les exactions russes, meurtres d’enfants, femmes violées, récoltes brûlées, arbres fruitiers abattus, puits souillés… Le chapitre XVII, en particulier, tient en deux pages et vaut pamphlet. Juste un court extrait :

« Les anciens s’étaient rassemblés sur la place et, accroupi à la musulmane, ils discutaient de la situation. Nul de parlait de haine pour les Russes. Ce que tous les Tchétchènes, petits et grands, ressentaient, était plus fort que la haine. Tout simplement, ils ne reconnaissaient plus ces chiens de Russes pour des hommes, ils éprouvaient tant de dégoût, de répulsion, d’horreur devant la stupide cruauté de ces êtres que leur désir de les exterminer, comme celui d’exterminer les rats, les araignées venimeuses, les loups, était un sentiment aussi naturel que l’instinct de conservation.
Les habitants avaient le choix : ne pas abandonner leur village et rétablir au prix de terribles efforts ce qui leur avait coûté tant de peine à installer et qui avait été détruit si facilement, si stupidement en s’attendant à chaque minute à une nouvelle dévastation ; ou bien, contrairement aux préceptes de leur religion, et en dépit de leur sentiment de répulsion et de mépris pour les Russes, faire leur soumission. Les anciens prièrent, se décidèrent à l’unanimité (…) et l’on se mit tout de suite à la reconstruction. »

Si les gros romans de Tolstoï vous effraient, Hadji Mourat est une bonne porte d’entrée pour découvrir le style et la philosophie de l’auteur en peu de pages. Entre roman d’aventure, pamphlet politique et descriptions ethnographiques, il est riche de contenus sans jamais être assommant.


Les Âmes Mortes : attention, humour russe.

Les Âmes Mortes est tout à la fois le roman russe le plus réjouissant et le plus frustrant que j’ai pu lire. Réjouissant, j’y reviendrai plus loin, mais pour ce qui est de la frustration, jugez plutôt : alors que Nicolas Gogol avait déjà publié la première partie de son roman, il mit des années à écrire la suite. Il en fit plusieurs, aucune ne le satisfaisait vraiment, et à la fin de sa vie, il les jeta au feu ! C’est ainsi que Les Âmes Mortes est pire qu’un roman inachevé : c’est un roman détruit. Si la première partie est entière, il ne reste pour la suite que des fragments. Il y a donc plein de trous et pas de fin. Et pourtant, ça reste une œuvre à découvrir.

Si on pense « roman russe », l’humour n’est sans doute pas la première chose qui nous viendra à l’esprit. Certes, Tolstoï sème de-ci de-là des traits cyniques particulièrement goûtus, mais comme comique, il ne valait pas grand-chose. C’est très différent avec Gogol. Voilà l’histoire : Tchitchikov est l’anti-héros du récit. Escroc sans envergure, il lui vient une idée particulièrement tordue : il décide de racheter à peu de frais les âmes mortes aux propriétaires terriens. Il nous faut un peu de contexte pour comprendre la chose. Nous sommes alors dans la première partie du XIXe siècle. Le servage n’est pas encore aboli, et les propriétaires terriens possèdent aussi les travailleurs. Or, le système très administratif de la Russie tsariste impose une taxe par tête. Le montant de la taxe est recalculé à chaque recensement, si bien que quand un paysan ou un artisan meurt, la taxe reste due jusqu’au recensement suivant. Et comme les serfs peuvent être mis en gage pour obtenir un crédit à bas taux, Tchitchikov flaire la bonne affaire : en rachetant les âmes mortes, il pourra aisément monter une arnaque au crédit. Voilà donc notre anti-héros arpentant la campagne russe à la rencontre des propriétaires terriens et leur proposant, en toute amitié, de les débarrasser de leurs coûteuses âmes mortes. Voilà surtout le prétexte idéal pour décrire la Russie et ses notables, leurs abus, leur futilité, leur malhonnêteté. Et c’est évidemment là que ça devient réjouissant : les âmes mortes ne sont peut-être pas celles qu’achètent Tchitchikov.

Outre les descriptions drôlatiques de nobles et hauts-fonctionnaires particulièrement écœurants, c’est aussi l’occasion de découvrir la Russie tsariste et ses travers et, avec le recul, de tout ce qui n’a pas changé depuis. Ainsi, si on pourrait facilement croire que la corruption endémique et l’arbitraire de la justice datent de l’ère Poutine ou de l’ère soviétique, Gogol ne nous laissera aucun doute sur leur existence multiséculaire. Mais tous les défauts du pays n’en laissent pas moins transparaître l’amour de Gogol pour la Russie, même s’il est à noter qu’il est né dans l’actuelle Ukraine.

Alors certes, c’est frustrant de commencer un roman en sachant qu’il n’a pas de fin. Mais la première partie se suffisant à elle-même, ça n’est pas non plus insurmontable. En outre, Nicolas Gogol est considéré comme le père de la littérature russe. Si son maître et ami Pouchkine fixa en quelque sorte la langue, c’est bien Gogol qui fut le premier vrai romancier de langue russe. Les Âmes Mortes est tout à la fois une satire, un bon roman et un document historique. Pas si mal pour une œuvre inachevée.


Et maintenant : un petit tour du côté du Brésil

La maison d’édition Anacanoa a eu une idée de génie : traduire (entre autres, allez voir, son catalogue est vraiment intéressant) la littérature populaire et rurale du Brésil. Vaste Monde est une œuvre de cette nature.

Maria Valéria Rezende nous conte dans un langage truculent, avec une suite de portraits, la vie d’un village brésilien. On y croise des paysans pauvres, un adolescent amoureux, un curé allemand progressiste, des prostituées sur un piquet de grève, des politiciens véreux, des tueurs à gage, un escroc, un vieux qui perd la mémoire, un cirque complet, quelques Tziganes et des femmes, beaucoup de femmes, au caractère bien trempé. On boit beaucoup – parfois même trop – de cachaça, on s’aime, on s’entre-tue, on galère, on survit, mais pas toujours.

Parfois violent, souvent tendre, on sent la tradition orale derrière ces nouvelles : Vaste Monde constituerait un support idéal pour un spectacle conté.

Facile d’accès, c’est une porte ouverte vers un pays qu’on connaît souvent mal ici, avec pourtant ce petit quelque chose qu’on trouve sans doute dans toutes les ruralités du monde. Si vous êtes en panne d’idée lecture, Vaste Monde est d’autant plus un bon choix que les bouquins de cette maison d’édition sont aussi de beaux objets, avec de belles couvertures, de chouettes illustrations, et un papier très agréable au toucher comme on n’en trouve plus beaucoup.