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Il est où le patron ? ou le féminisme contre-productif

On m’a offert cette BD qui parle des femmes en agriculture et j’étais super-contente parce qu’il y a peu de BD qui parlent de l’agriculture, et encore moins des femmes du milieu. Et puis je l’ai lue et j’étais tout de suite vachement moins contente.

En réalité, c’est surtout une BD qui parle des hommes qui sont dans leur intégralité des salauds dont l’unique but sur terre est d’empêcher les femmes d’exister et d’apprendre. Et j’insiste autant que la BD : l’intégralité. Tous les personnages masculins sont d’horribles machos qui ne comprennent rien à rien, qui retirent les outils des mains des femmes pour qu’elles n’apprennent pas à s’en servir, qui ne se réservent que les tâches supposées valorisantes, qui n’interviennent jamais sur les mises bas parce que « c’est un travail de femme », qui ne savent pas débarrasser une table, qui ne s’occupent jamais des enfants et qui font sans arrêt d’insupportables remarques sexistes. Tous. Et la seule solution, d’après cette BD, c’est de faire sécession et de ne plus travailler qu’en non-mixité.

Des boulots, j’en ai fait plein, de plusieurs sortes. En bureau, dans le social, dans la grande distribution, liste non-exhaustive, et partout, j’ai dû me bagarrer en tant que femme. C’est sans doute d’ailleurs ce qui a participé à ce que je ne trouve jamais tout à fait ma place dans ces milieux. Et puis j’ai atterri en élevage. Et c’est là que je suis restée le plus longtemps, parce que j’adorais ça et aussi parce qu’enfin j’ai pu cesser de me bagarrer. Certes, à l’occasion, j’ai pu voir des individus archaïques qui faisaient des remarques déplaisantes. Je les rembarrais et on ne les y reprenait plus. D’autant qu’en général les patrons en rajoutaient une couche : un bon patron n’aime pas qu’on fasse chier sa salariée et quasi tous les éleveurs pour qui j’ai bossé auraient été horrifiés qu’on dise d’eux qu’ils étaient de mauvais patrons. C’était une question d’honneur pour eux. Dans l’ensemble, j’ai surtout eu des patrons mâles qui m’ont collé dans les mains des outils dont je ne savais absolument pas me servir et qui insistaient : tant pis si je faisais des conneries, c’est comme ça qu’on apprend. Et avec mes deux mains gauches, des conneries, j’en ai fait. Plein. Et le lendemain on me recollait le même outil dans les mains. En se moquant un peu, mais pas parce que je suis une femme, juste parce que je faisais des conneries. J’ai vu des grands-pères apprendre à leurs petites-filles à labourer, je vois encore un paquet de pères aller chercher les mômes à l’école, quitte à y aller en tracteur, et des maris débarrasser la table après le casse-croûte. Quant aux vêlages sur lesquels il fallait intervenir, c’était souvent les hommes qui le faisaient. La BD ne parle que d’éleveurs et éleveuses de chèvres et de moutons, l’écart peut venir de là sur ce point : c’est une réalité, les bovins sont de bien plus grosses bestioles, et s’il faut intervenir vite, si on n’a pas le temps d’aller chercher la vêleuse (un outil qui aide à démultiplier la force) alors oui, effectivement, j’ai beau être costaude, je n’avais pas forcément assez de force, pas plus que mes patronnes, et mieux valait qu’un mâle plus balaise s’en charge.

Je pourrais lister sur des pages les exemples d’une féminisation de l’élevage qui avance bien. Les vétérinaires rurales ici sont toutes des femmes. Je n’ai jamais entendu personne s’en plaindre. J’ai bossé pour un groupement d’employeurs agricole dirigé par une femme qui a imposé par statut la parité dans le conseil d’administration. Jamais entendu de récrimination à ce sujet. Récemment, j’ai vu un agriculteur qui a poussé la presse locale à faire un article sur une (très) jeune femme mécanicienne agricole parce qu’il trouvait ça important de montrer que ça change. Salaud.

Alors oui, en effet, les agriculteurs du coin ont une tendance marquée au paternalisme. C’est même pour ça qu’ils aiment bien nous apprendre à nous servir de ceci ou cela. Sauf qu’ils font exactement la même chose avec leurs jeunes salariés masculins. Le plus macho des patrons que j’ai eu s’est pavané le jour où il a dû se faire remplacer suite à une opération : il était fier de dire partout qu’il avait laissé son exploitation entre les mains d’une jeune femme. Si sa réaction est quelque peu discutable, on voit qu’au fond il avait bien compris qu’il était temps de laisser la place aux femmes.

Je ne doute pas une seconde qu’il y ait des femmes en agriculture qui ont pu en chier plus que moi : il y a des abrutis partout, c’est même sans doute la seule chose bien répartie sur la planète. Il est très possible qu’une femme qui souhaite s’installer seule se confronte à des vieux relents sexistes moisis. Ça n’a rien de spécifique à l’agriculture, j’ai vu la même chose dans des formations organisées par une Chambre des Métiers. Que les choses n’avancent pas assez vite, c’est un fait, mais ça n’a absolument rien à voir avec le monde agricole spécifiquement. Que tous les hommes soient des salauds incapables de réfléchir à ces questions, non. Juste non. Ou alors, c’est que j’ai passé ces dix dernières années sur une autre planète. Et certes la Bretagne a ses spécificités, mais je ne crois pas qu’elle soit particulièrement plus progressiste que la moyenne, et jusqu’à preuve du contraire, elle est bien sur terre.

Pour conclure, si vous voulez dégoûter à jamais les femmes de l’agriculture, offrez-leur cette BD. Comme ça c’est sûr, ça restera un milieu d’hommes. Mais si vous êtes une femme qui veut se lancer dans le milieu : juste, allez-y. Rembarrez et fuyez les cons là comme ailleurs et rassurez-vous : des alliés, vous y en trouverez de tous les genres.


10 ans de ruralité, ça fait quoi ? épisode 1

Cette année, je fête mes dix ans de bottes en caoutchouc, et puisque la mode est aux séries, je vous propose, tout au long de cette année, et avec une régularité aléatoire, une série de textes sur la ruralité, comment on s’y intègre, comment on la vit, comment elle nous change.

Chaque expérience est unique, il n’y a pas de mode d’emploi universel pour qu’elle réussisse, mais peut-être réussirons-nous à dégager quelques constantes.

Aujourd’hui, nous allons donc aborder la question des échanges à la campagne.

Mais retournons quelques instants, si vous le voulez bien, à la fin du siècle dernier, dans un quartier populaire d’une grande ville du Nord. Nous sommes au temps des luttes contre la mondialisation, et nous sommes une bande de copains bien décidés à modifier la marche du monde. Idéalistes mais pas complètement cons, on se demande ce qu’on peut faire autour de nous, et autour de nous, il y a ce quartier populaire. On tentera diverses expériences plus ou moins foireuses, d’autres qui furent de franches réussites. Les repas de quartier restent parmi mes meilleurs souvenirs. Mais sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui, la mode des milieux dits alternatifs était aux SEL : système d’échanges locaux.

Ça n’a pas l’air comme ça, mais on s’est quand même bien amusé, dans ce quartier.

Pour ceux qui ne sont pas familiers avec cette bête-là, il s’agit en substance d’une usine à gaz censée favoriser les échanges entre les gens sans en passer par l’argent. Chaque objet, service ou savoir est évalué en points, on marque des points quand on prête un truc ou qu’on rend un service, on les dépense pour obtenir un cours de langue ou un fer à repasser, et l’idéal est de tendre vers zéro. L’idée n’a rien de stupide, mais la réalité, c’est qu’on se retrouve vite à de toute façon échanger en cercle restreint avec les copains exactement comme on l’aurait fait sans le SEL.

Rechaussons nos bottes en caoutchouc.

S’il y a bien un truc qui m’a immédiatement frappée en arrivant à la campagne, c’est que si on y regarde bien, il y a sans arrêt tout un tas d’échanges informels et néanmoins codifiés. J’en ai pris la mesure dès le premier automne de mon installation. Mon voisin, éleveur de vaches, vint demander un jour si je ne pouvais pas venir prêter main forte pour la fermeture des silos. Je n’avais absolument pas la moindre foutue idée d’en quoi consistait une fermeture de silos, raison pour laquelle j’acceptai immédiatement.

Ça, c’était une sorte de bizutage d’intronisation dans un réseau d’échanges sur lequel vous ne trouverez jamais aucun écrit.

Bizutage parce que depuis, chaque année, je me retrouve sur au moins une fermeture de silos, et je peux vous garantir que c’est pas la meilleure journée de l’année. Il faut manipuler des tas de trucs lourds et sales, comme des vieux pneus qui prennent la pluie depuis 1985 au moins. C’est dur, une fois sur deux ça se fait sous la pluie, mais il y a une constante : plus il y a de monde, plus ça va vite, donc l’aide à ce moment là est toujours appréciée. J’ai appris après coup que d’autres néo-ruraux avaient subi avant moi le même bizutage et qu’ils n’étaient jamais revenus ensuite. C’était dit sans méchanceté ni animosité aucune, mais c’était un message tout de même.

Quant au réseau d’échanges, il ne s’étend que peu au-delà des limites du village, mais il n’en est pas moins actif. A titre personnel, il m’a permis de bénéficier d’une remise en état complète de ma pâture dès que j’ai évoqué l’idée d’avoir une vache, de bois de chauffe à tarif préférentiel, de foin et de paille, et d’un très grand nombre de petits services qui simplifient grandement la vie. En échange, je n’avais pas forcément grand-chose à proposer. Quand les gens ont besoin d’un courrier compliqué, ils viennent me voir, mais j’avais des mains toutes neuves. Maintenant que j’ai appris à m’occuper d’un troupeau de vaches, forcément, c’est beaucoup plus facile.

Ça n’a pas l’air non plus comme ça, mais on s’amuse bien aussi dans le bocage breton.

Ces échanges se font le plus naturellement du monde. Chacun sait qu’un jour il pourrait avoir besoin de l’autre, peu de gens refusent donc de rendre service, beaucoup n’attendent même pas forcément qu’on le demande. Il serait malvenu de rendre service sans jamais rien demander. C’est grossier. En faisant ça, on maintient les gens en dette et les gens fiers n’aiment pas avoir une ardoise. Évidemment, on ne peut pas toujours demander sans rien offrir, même si je connais des exceptions à la règle : pour les gens vraiment trop perchés, vieux ou malades, on rend service par une sorte de charité. Ces réseaux d’échanges n’excluent nullement les professionnels : si vous avez besoin d’un couvreur, d’un plombier ou d’un mécanicien, vous commencez par en chercher un au plus proche de votre réseau. L’idée que l’argent doit rester au pays est largement répandue. Faire bosser le neveu du voisin, c’est aussi une manière de participer aux échanges locaux.

Alors ? Est-ce que nous étions une bande de jeunes cons ?

Je ne le pense pas du tout. Nous étions des jeunes qui avaient l’instinct de ce qui pouvait fonctionner : des échanges, non pas par affinité de pensée, mais au contraire par diversité de savoir-faire sur un territoire restreint. Ça existe à la campagne pour la simple raison qu’il est très compliqué d’y vivre sans – sauf si on a beaucoup d’argent, évidemment – et que résoudre une situation en dégainant une carte bleue y est beaucoup moins répandu. Quand une bête part en goguette, tout l’argent du monde ne la ramènera pas dans sa pâture. Les voisins, si.

Est-ce qu’on peut vivre à la campagne et passer à côté de ces échanges ? C’est même le plus courant chez les nouveaux arrivants. La campagne se dortoirise, on échange peu en dormant. Et pourtant, ces réseaux d’échanges trouvent tout de même de nouveaux bras et de nouvelles perceuses à emprunter-parce-que-la-mienne-vient-de-cramer. Vous me voyez venir ?

Les échanges entre humains à la campagne ne crèvent pas complètement, parce que pas mal des jeunes cons de la fin du dernier millénaire ont débarqué dans les campagnes avec, au fond de leur valise, cette vieille idée qu’on vit tous mieux quand on prend conscience qu’on vit tous ensemble, qu’on le veuille ou non.


Le bord du gouffre

C’est terrible de savoir que quelqu’un va craquer et d’être absolument impuissante à l’empêcher de quelque façon que ce soit. C’est ce que je vois tous les matins : mon patron ponctuel va craquer, c’est une évidence. C’est le cercle vicieux habituel : pour être plus rentable, il a fortement agrandi son troupeau. Pour pouvoir gérer ce grand troupeau, il a investi dans tout un tas de trucs et de machins. Loin d’alléger le boulot, il faut bosser plus pour rembourser les trucs et les machins. Mais le temps n’est pas extensible. Il est sans cesse en train de courir, il fait tout vite, n’a jamais le temps de poser quelques minutes pour boire un café, souffler ou papoter comme ça se fait dans les petits élevages. A la vitesse où il va avec le tracteur ou le Manitou, il va finir par avoir ou provoquer un accident. Mais même en galopant comme ça, il n’a quand même pas le temps. Alors il veut embaucher sur le long terme. Mais pour payer quelqu’un il faut faire entrer plus d’argent. Donc agrandir le troupeau. Mais s’il agrandit encore le troupeau, il faudra de nouveau investir dans des trucs et des machins.

Il est crevé. Il n’est pas vieux, mais il est tellement cerné, tellement usé que je suis incapable de deviner son âge.

C’est une personne très sympathique, pas le genre de patron à passer ses nerfs sur le salarié ni sur les vaches. Je l’entends pester contre lui-même et contre le temps qui file vite, trop vite. Il n’est pas du tout idiot, c’est juste qu’il a la tête dans le guidon, si bien qu’il n’a aucune possibilité de prendre un peu de recul. Alors il s’épuise, il s’use et de toute évidence, il court à en perdre haleine vers son point de rupture. Je le vois, mais je ne peux rien faire. Je peux juste faire mon boulot le mieux possible pour le soulager un chouïa, mais c’est loin d’être suffisant. Il est pris dans l’engrenage de ce monde où il faut être toujours plus gros, toujours plus rapide, jusqu’à ce que tout s’effondre. C’est comme ça dans les écoles, les hôpitaux, les élevages, les administrations, les boites privées : partout. Le monde court vers le burn-out généralisé.

Levez le pied, les gens. Vraiment. Ralentissez. Posez-vous un peu et prenez aussi le temps parfois de ne rien faire. Parce que ça n’est pas en craquant les uns après les autres qu’on maintiendra quoi que ce soit debout.


Melba fait des grosses bêtises

Vous vous souvenez sans doute de ma grande copine Melba, la vache pot de colle depuis qu’elle est toute petite, ma préférée avec Mangue. Eh bien ces jours-ci Melba a fait parler d’elle en faisant des bêtises, des grosses bêtises.

Ça a commencé quand Macarena a vêlé une bonne semaine avant terme. C’est assez rare chez les vaches qui vêlent plus souvent en retard qu’en avance. Le veau, une femelle, est né tout minuscule, le plus petit veau que j’aie jamais vu. Elle est toute mignonne, mais alors petite ! C’est bien simple, on dirait une chevrette tellement elle est minus. Une micro-pitchounette. On ne s’est pas inquiété outre mesure parce que, toute prématurée et minuscule qu’elle soit, elle est en parfaite santé, a un appétit démesuré par rapport à sa taille et déjà un caractère bien affirmé. Nul doute qu’elle rattrapera son retard de croissance. Seulement, quelques jours plus tard, une autre vache a aussi vêlé avant terme, et cette fois, de quasiment deux semaines. Là non plus, on ne s’est pas trop inquiété, parce ce que le veau est un gros mâle déjà bien balaise, et que ça n’est pas forcément plus mal pour la vache qu’il soit sorti plus tôt. Seulement voilà : ces jours-ci, Jalna a aussi vêlé deux semaines plus tôt que prévu et cette fois, ça s’est mal passé. Le veau était mort-né et pour ne pas arranger les choses, quand le patron l’a trouvé dans la pâture, il avait déjà été grignoté par les renards et personne n’apprécie ni de perdre un veau ni de le trouver à demi bouffé. Et puis, trois vêlages prématurés, ça c’est pas du tout normal. Alors le patron a mené l’enquête, recoupé tous les événements, et un fait apparaît très clairement : cette série a commencé avec le tarissement de Melba. Dès qu’elle a rejoint le troupeau des vaches en congé pré-maternité, les problèmes ont commencé.

Il est donc très facile de deviner ce qui s’est passé : Melba, aussi amicale soit-elle avec les humains, a décidé de devenir dans le troupeau calife à la place du calife. Elle veut être la patronne, et comme les vaches, ça ne vote pas, elles règlent ça à grands coups de tête dans le ventre jusqu’à ce que les anciennes plient. Si ces vaches n’étaient pas écornées, ça serait un massacre sanglant. Elles ne manquent de rien et surtout pas d’espace, elles sont dehors, dans les pâtures qu’elles apprécient le plus pour vêler parce qu’il y a des arbres et des espaces couverts où se planquer pour mettre bas en paix, mais ça ne change rien du tout aux rapports de hiérarchie qui se rediscutent à chaque arrivée d’une nouvelle.

J’ai d’abord eu peur qu’on soit confronté à une épidémie. Une maladie, ça serait vraiment très grave. Cette possibilité écartée, j’ai eu peur que le patron ne veuille se débarrasser de Melba qui risque de vouloir aussi être calife à la place du calife quand elle réintégrera le troupeau des laitières. Mais j’ai eu peur pour rien : le patron a quarante ans de métier dans les pattes, et il sait très bien que c’est ainsi que les choses fonctionnent dans un troupeau. Il n’y a pas de vaches gentilles ni de vaches méchantes : il y a des vaches avec leurs fonctionnements hiérarchiques contre lesquels il est vain de vouloir lutter. Melba est une dominante, elle fera donc ses trucs de dominantes, avec les dégâts que ça peut engendrer, mais si ça n’est pas elle, ça sera une autre. Il faut juste accepter que c’est ainsi que fonctionne un troupeau, même quand ça ne nous fait pas plaisir.

Quant au fait que les renards aient mangé le cadavre du veau mort né, ça ne fait pas plaisir non plus. Mais en cette saison, les renardeaux commencent à sortir et apprennent à se nourrir seuls. Tout le monde, à deux ou à quatre pattes, a une famille à nourrir et un régime alimentaire qui lui est propre. Si les renards ne mangeaient pas de cadavres, ça serait une catastrophe. On retrouverait des bêtes en décomposition, par exemple des chevreuils, qui pourraient potentiellement polluer l’eau. Heureusement, les renards et les blaireaux assurent le service de nettoyage et c’est un bienfait pour les écosystèmes. On ne peut pas leur reprocher ce qu’ils sont par nature. Alors on serre les dents mais on admet que c’est ainsi que vont les choses, parce qu’il n’y a rien d’autre à faire. Faire autrement serait une catastrophe bien pire.

On finit toujours par en revenir aux mêmes conclusions : quand on travaille avec des êtres vivants, on accepte de se confronter régulièrement à la mort. Et si on ne peut pas l’accepter, alors il faut changer de métier.


Retour au boulot !

Presque trois semaines sans voir mes copines, c’est long, mais heureusement, les vaches n’ont pas une mémoire de poisson rouge. Alors évidemment, Mangue s’est précipitée pour me dire bonjour : la championne du monde des pots de colle n’allait pas changer en si peu de temps. Marquise a été plus pénible : si elle est immédiatement venue me mettre un grand coup de langue, c’était pour mieux m’enquiquiner par la suite. Chose qu’elle ne fait jamais d’habitude, elle a bousé en salle de traite, mais en plus elle a mis pas moins de dix minutes à en sortir, histoire de bien me casser les pieds. Note pour plus tard : ne jamais laisser Marquise prendre la tête sur le quai de traite : s’il n’y a personne devant elle, elle refuse de passer sur le pont pour sortir et ça fiche une énorme pagaille.

J’ai mis un temps fou à faire redescendre le troupeau de la pâture à l’étable, mais c’est surtout parce qu’il y a sur le chemin plein d’herbes bien hautes et goûtues. Elles ont eu toute la journée pour croûter, mais c’est quand même bien plus amusant d’embêter les deux-pattes en mangeant sur le chemin. Gaïa reste Gaïa : elle met toujours des plombes pour faire deux pas. Et Harissa se prépare à prendre la relève de la vache la plus lente de l’univers. Hirondelle et Jalna sont parties en congé maternité. Mais ça, je le savais déjà, je les ai croisées hier, même qu’elles ont joué à narguer mes chiens qui par ailleurs s’en fichent un peu.

En mon absence, Latina a eu des misères. Elle a fait ce qu’on appelle un déplacement de caillette. Schématiquement, l’estomac des vaches est composé de quatre parties : la panse, le bonnet ou réseau, le feuillet et la caillette. La caillette, comme son nom l’indique, est l’organe qui permet au veau de faire cailler le lait. Quand le veau grandit, la caillette perd en importance et en volume, mais elle reste là et parfois, elle se déplace. Et un organe qui se déplace, ça n’est pas sans poser problème. Ça arrive souvent juste après le vêlage, on ne sait pas trop pourquoi. Et il n’y a qu’une seule solution pour remédier au problème, sans quoi la vache meurt : il faut appeler le vétérinaire qui opère immédiatement. Il fait alors une grande incision, et il recoud la caillette à sa place pour qu’elle ne bouge plus. Ça laisse une grande cicatrice, mais dans l’immense majorité des cas, ça sauve la vache, et c’est quand même l’essentiel. Latina a donc maintenant cette cicatrice caractéristique, mais elle est plutôt en forme. Elle reste sous surveillance, bien sûr, mais elle devrait s’en sortir.

Les plus grandes génisses de la nursery sont parées à prendre la relève des pots de colle. Dès qu’on s’approche un peu d’elles, elles rappliquent, nous lèchent et réclament des grattouilles. La patronne râlait un peu, hier, pour la forme : à force de se prendre ces grands coups de langues baveuses, sa blouse va finir par tenir debout toute seule. Perso, c’est plus le fait qu’elles tirent sans arrêt sur mon pantalon qui m’embêtent. Mais pareil : pour la forme. En vrai, ça nous amuse et on aime bien qu’elles se montrent aussi affectueuses.

A part ça, rien de bien nouveau. Le troupeau est en forme, les vaches sont ravies que l’hiver soit terminé, même si elles dorment encore dedans parce que le patron trouve qu’il fait encore un peu froid pour leur faire passer la nuit dehors. Et moi, si je n’ai pas détesté être en congé, surtout d’un point de vue articulaire, je suis quand même bien contente de retrouver mes copines qui indéniablement m’apportent un repos de l’esprit sans pareil.


Une journée aux Terralies

Le plus étonnant, sur un salon agricole, c’est qu’on peut faire la différence à l’œil nu entre un éleveur de laitières et un éleveur de race à viande.

Pour commencer, il y a beaucoup de femmes côté laitières et fort peu côté viande. Mais au-delà, vraiment, les physiques et les comportements ne sont absolument pas les mêmes. Les éleveurs de races bouchères sont en moyenne beaucoup plus costauds – les éleveurs de laitières ne sont pourtant pas des nains ! Au milieu d’eux, j’ai presque l’air minuscule, limite chétive, alors que bon … Pas vraiment. Et puis les faciès sont très différents. C’est très difficile à verbaliser, pourtant, ça saute aux yeux. Et il y a un détail qui ne trompe pas : si les éleveurs de laitières déplacent leurs bêtes avec un simple licol, ceux qui ont des races à viande ne lâchent jamais leur bâton. Mais ne portez pas de jugement trop hâtif. Les laitières sont des grosses bêtes, mais elles n’ont rien de comparable avec leurs cousines bouchères. Les races à viande sont des races à gros culs, tout en muscles, vives et pas toujours commodes. Quant aux taureaux, autant je n’ai aucune hésitation à faire des câlins à Maestro, Prim’Holstein de son état, autant je n’oserai jamais approcher un taureau blond d’Aquitaine, Charolais ou Limousin. C’est qu’il faut voir la largeur des pattes et des sabots d’un Charolais ! On dirait une patte de cheval de trait ! C’est énorme !
Alors forcément, quand il s’agit de déplacer un animal au milieu d’une foule pas toujours très au fait des comportements bovins, on voit beaucoup de jeunes femmes s’occuper des laitières, mais seulement des gros costauds le faire avec les bouchères. Et quand un taureau arrive, je vous prie de croire que tout le monde s’écarte respectueusement.

Ces deux types d’éleveurs ont pourtant un point commun évident : allez leur poser des questions sur leurs bêtes et leurs élevages, et vous voilà embarqués pour un long temps d’explications. J’ai ainsi croisé un éleveur de Charolaises tout occupé à brosser une de ses bêtes qui venait de remporter un prix. Il était si fier de sa gagnante qu’il en chialait presque.

Sur le ring – c’est ainsi qu’on nomme l’espèce d’arène où se tiennent les concours – quand une bête est annoncée gagnante, l’éleveur ou l’éleveuse se jette à son cou et lui embrasse le mufle. Il faut dire que le travail en amont est énorme, pour préparer ces animaux. Il faut leur apprendre à marcher à la longe, dans le bruit et la foule, et ça ne se fait pas en quelques heures. Il faut les préparer, les doucher, les brosser, bref, être en contact étroit avec eux pendant des heures, des jours, des mois. C’est fatigant pour tout le monde, et il n’est pas rare de croiser un éleveur endormi contre l’une de ses bêtes. Mais surtout, il y a des années de sélection génétique, souvent réalisée au fil du temps par plusieurs générations d’éleveurs. J’ai ainsi croisé un éleveur de Normandes dont plusieurs bêtes venaient d’être primées qui était certes fier mais aussi humble, conscient qu’il était de récolter les fruits du travail de son père et de son grand-père avant lui.

Voilà plusieurs années que je vais à ce salon départemental, et je me rends compte que mon regard sur ces concours a énormément changé depuis la première fois. Entre temps, j’ai commencé à travailler en élevage. Avant ça, je ne voyais pas beaucoup l’intérêt de ces concours, et surtout, j’étais incapable de me représenter le travail que ça nécessitait. Maintenant que je suis en mesure de comprendre ce à quoi j’assiste, je me prends au jeu. Et m’y rendre avec le patron rend forcément la chose plus intéressante encore : je peux poser toutes les questions imaginables et obtenir une réponse immédiate. Je peux lire les fiches de présentation de chaque bête et les comprendre : forcément, ça rend la visite plus passionnante.

Je reste persuadée qu’il est plus intéressant pour un profane de visiter un élevage qu’un salon. Néanmoins, les salons sont plus facilement accessibles aux urbains. S’il s’en tient un près de chez vous, n’hésitez pas à vous y rendre, et une fois sur place, hésitez encore moins à vous faire expliquer tout ce que vous ne comprenez pas. Les éleveurs sont aussi là pour ça. Ils ne sont jamais avares de pédagogie. Mais le plus intéressant restera de voir briller leur regard quand ils parlent de leurs bêtes.


Les communautés familiales agricoles, un grand bout d’histoire paysanne.

Aux alentours du XIe siècle, les paysans se sont pris le servage en pleine tronche. En outre, le seigneur du château le plus proche s’attribuait tous les biens des serfs qui n’avaient pas d’enfants à leur mort en empêchant toute autre forme de transmission. On appelait ça le droit de mortaille. Mais le droit coutumier comportait une exception : les seigneurs ne pouvaient rien récupérer du tout si les biens avaient été mis en commun avec d’autres membres de la famille. Les seigneurs décrétèrent que la mise en commun ne valait que si toute la famille se chauffait au même feu et mangeait au même pot. C’est ainsi que sont nées les communautés familiales agricoles, aussi nommées communautés taisibles. Non qu’on s’y taisait, c’est juste que les contrats étaient tacites.

Il y en a eu un peu partout et de plusieurs sortes, mais les plus grandes et les plus nombreuses se situaient en Auvergne, dans le Bourbonnais, dans le Nivernais, dans le Berry et en Corse. Dans ces contrées, la notion de famille, sans sortir du lien du sang, pouvait s’étendre à pas mal de branches. Les communautés étaient donc importantes, et vaste la salle de la cheminée qui accueillait la grande table commune.

Si vous habitez un lieu comportant les suffixes « ière » ou « rie » collé à quelque chose qui ressemble à un nom propre, comme La Bernarderie ou la Richardière, il y a de fortes chances pour que vous viviez sur le lieu d’implantation de l’une de ces anciennes communautés.

Comment fonctionnaient ces communautés ? D’une certaine façon, c’est fort simple : en presque complète autarcie, le « presque » représentant essentiellement le sel et le fer qu’on devait acheter ailleurs. Pour le reste, tout était produit par les membres de ladite communauté. On cultivait des céréales – la patate n’était pas encore arrivée chez nous – on élevait des bêtes, on faisait pousser du lin et du chanvre qu’on tissait pour les vêtements d’été, et on filait la laine pour ceux d’hiver – tous grattaient à peu près également – on cousait, on fabriquait les sabots, les paniers, les outils… Certains de ces travaux étaient réalisés le jour, d’autres à la veillée. Chaque homme avait deux métiers, l’un commun à tous – cultivateur – et un autre pour l’hiver, de forgeron à sabotier.

Chaque communauté avait un maître, qui dirigeait les hommes et s’occupait des affaires d’argent, et une maîtresse, qui ne pouvait pas être l’épouse ni la sœur du maître pour éviter les régimes trop dictatoriaux, et qui dirigeait les femmes. Le maître devait impérativement savoir signer, mais s’il savait lire, c’était encore mieux. Il était en effet le seul à signer tous les documents relatifs à la communauté – baux, ventes, contrats de mariages… Il était le seul a vraiment connaître la situation financière de la communauté, c’était lui qui s’occupait des ventes à l’extérieur, des rares achats et aussi des mariages, car tous les mariages étaient arrangés, dans le meilleur des cas avec une autre communauté, mais parfois à l’intérieur de la même communauté familiale. Le maître ne tirait en théorie pas de bénéfice pécuniaire de sa situation. Il restait maître jusqu’à sa mort, mais formait son successeur avant d’en arriver là.

La maîtresse, elle, ne sortait jamais du domaine. Elle avait toutes les clefs, et étaient la seule dans ce cas. Elle attribuait les tâches aux autres femmes, tandis qu’elle s’occupait de la cuisine, du pain, du beurre, du fromage et de l’éducation de tous les enfants qui ne retrouvaient leur mère naturelle que lors de la veillée. Elle était nommée par l’ensemble des autres femmes.

Les enfants commençaient en général à travailler après leur communion, vers l’âge de treize ans. Ce qui ne veut pas dire qu’ils étaient inactifs avant, seulement qu’ils pouvaient choisir leurs activités. Les vieillards qui ne pouvaient plus travailler étaient pris en charge par la communauté jusqu’à leur mort.

Tous les membres d’une même communauté portaient les mêmes vêtements de la même forme et de la même couleur, avec seulement, évidemment, une distinction entre le vêtement des hommes et celui des femmes. Pour le reste, si vous croisiez telle ou tel, à sa coiffe ou à son gilet, vous saviez de quelle communauté il provenait.

Ces communautés regroupaient en général entre vingt et soixante membres. Si tout le monde mangeait au même pot et à la même table, ça n’était jamais tous en même temps.

On n’entrait dans ces communautés que par mariage. On en sortait également par mariage, pour rejoindre une autre communauté. Les femmes n’avaient aucun autre choix. Les hommes pouvaient se rebeller, par exemple en refusant le mariage qu’avait choisi pour eux le maître. Ils recevaient alors une petite somme avant d’être définitivement bannis. Et ils ne pouvaient rien réclamer de l’héritage de leurs parents puisque tout était mis en commun.

Les communautés taisibles ont commencé à disparaître avec l’apparition du Code Civil, sous Napoléon, qui ne reconnaissait rien de ce qui n’était pas dûment et officiellement contractualisé, d’autant que les idées plus individualistes des Lumières étaient déjà passées par ces communautés où beaucoup de gens savaient lire, du moins à cette époque. Néanmoins, la dernière communauté taisible connue n’a cessé d’exister qu’en 1930. Elle se situait dans la région de Thiers, et comptait encore quarante membres, qui se divisèrent équitablement le patrimoine foncier acquis au fil des siècles.

Et si ça vous intéresse d’en apprendre plus, vous pouvez vous pencher sur cette vidéo réalisée en 1986 : https://www.youtube.com/watch?v=zFEYyfqjTlE


Fiat lux, ou pas.

 

Peu à peu et sans vraiment le faire exprès, je deviens trayeuse de vaches d’urgence. Un coup de bourre, un retard quelconque, un petit besoin de souffler ? On m’appelle et je vole vers une salle de traite plus ou moins connue. L’air de rien, ça dépanne bien les éleveurs et du coup, ça me fait plaisir.

Seulement, ça n’est pas une mince affaire. Les salles et les machines à traire ne sont pas toutes les mêmes. Il faut pouvoir s’adapter en quelques minutes. Et pour pouvoir s’adapter, il faut non seulement bien connaître le comportement des vaches mais encore bien comprendre le fonctionnement d’une machine à traire. Car tous les troupeaux n’ont pas le même comportement et toutes les machines ne se démarrent pas de la même façon. En plus, s’il y a une petite panne ou un quelconque problème, sans pour autant faire la maintenance, il faut pouvoir se débrouiller seule sans embêter l’éleveur. Alors il faut savoir repérer la pompe à vide, comprendre à quoi sert telle vanne, savoir remonter n’importe quelle griffe qu’une vache aurait explosée d’un coup de patte. Il faut aussi savoir aborder des bêtes inconnues de sorte à ne pas se faire casser le bras … Bref, si ça n’est pas un travail hautement qualifié, il faut quand même comprendre parfaitement ce qu’on fait, pourquoi on le fait et comment on le fait pour pouvoir le faire et le faire bien.

Alors quand on arrive dans une ferme inconnue, on pose quelques questions fondamentales : quelle vache a tendance à taper, est-ce qu’il y a des bêtes sous traitement, combien de lait il faut donner à chaque veau, lequel boit au seau, lequel a besoin d’une tétine … Il faut penser à un maximum de choses en un minimum de temps. Et pour tout ce qu’on n’a pas pensé à demander, eh bien il faut se débrouiller !

Maintenant que le soleil se couche beaucoup plus tôt, j’ai découvert qu’il y a une question essentielle que j’ai oublié de poser. Un détail, mais un détail fondamental. Résultat, j’en ai chié. Oh, les vaches ont été adorables, même pas surprises de voir une inconnue. Quant à la machine, elle ne m’a posée aucune sorte de difficulté : même si c’est un modèle que je connais mal, j’en ai déjà vu assez pour ne pas me laisser impressionner par la nouveauté – ou l’ancienneté, d’ailleurs. Non, la question, le détail, portait sur tout autre chose : où se trouve le p….. d’interrupteur pour mettre de la lumière dans la nursery ?

Et je n’ai pas trouvé. J’ai nourri les veaux dans la pénombre.

Ne jamais oublier sa lampe frontale. Jamais.


Les vaches arboricoles

Ma vache, Jacqueline, a daigné me laisser un seau de poires sur l’arbre. Car si les vaches ne savent pas grimper à l’escabeau, elles ont une technique imparable pour accrocher les branches avec leurs cornes, secouer violemment l’arbre afin, ensuite, de se repaître des fruits les plus murs tombés au sol.

Ce poirier n’avait jamais autant donné de fruits, mais j’aurais malgré tout beaucoup moins de bocaux de poires au sirop que je ne l’imaginais. J’espère au moins que son veau aura su apprécier le lait aromatisé.


Le retour des vaches à hublot

Ça y est, j’ai trouvé la bêtise de suceurs de navets du jour : « bientôt, on ne verra plus que des vaches à hublot dans les champs. »

Passons sur le fait que les vaches sont dans des pâtures, pas dans des champs : au point où on en est, on ne va pas chipoter.

Je pensais que ce vieux fantasme de la généralisation des vaches à hublot avait disparu, mais non, je viens de constater que ça fait encore partie des éléments de propagande dont certains se servent pour cogner sur l’élevage, alors reprenons depuis le début.

Est-ce que les vaches à hublot existent ? Oui. Et depuis longtemps. On en trouve les premières traces dans le tome XII des Mémoires de l’Académie Royale des sciences, en 1833 (*). C’est qu’alors, on comprenait encore très mal le phénomène de rumination, qui est, il faut bien le dire, très complexe. Observer la chose sur des bêtes mortes était impossible, et c’est ainsi que que le biologiste Marie-Jean-Pierre Flourens eut l’idée de procéder autrement. Il installa des canules dans les différents estomacs de moutons – le mouton étant un ruminant comme les autres, il a en gros quatre estomacs – et il appela cela des « anus contre-nature ». Il était biologiste, pas poète. Ces canules permettaient de faire des prélèvements à différents stades de la digestion afin de procéder à des analyses sans avoir à y faire trépasser tous les troupeaux de la région. Et le principe des vaches à hublot est le même.

De nos jours, on dispose de tas de produits anesthésiants qui évitent de poser un hublot à vif, et c’est heureux. On fait un trou d’environ quinze centimètres dans le flanc et on installe une trappe qui permet d’accéder directement au bol alimentaire. Quand on veut réaliser une analyse, on ouvre la trappe, on fait un prélèvement, et voilà. Mais pourquoi fait-on encore cela alors qu’on sait maintenant comment fonctionne la rumination ? Pour étudier le plus précisément possible la production de méthane des bovins en fonction de la ration alimentaire qu’on leur donne. Vous n’êtes pas sans savoir que le méthane pose des soucis pour le climat. Vous savez aussi que quand on mange un cassoulet, on ne digère pas de la même façon que quand on mange une salade verte. On teste donc différentes herbes, différentes céréales, différents compléments alimentaires de façon à trouver la meilleure façon de nourrir les vaches pour qu’elles soient à la fois en bonne santé et qu’elles produisent le moins de méthane possible. Sans ces quelques vaches à hublot, on devrait massacrer un nombre déraisonnable d’animaux pour faire les mêmes études.

Une fois installé, le hublot fait-il mal à la vache concernée ? Non. Les vaches à hublot ruminent comme toutes les vaches. Or, les éleveurs le savent bien, une vache qui a mal, qui est stressée ou qui est en mauvaise santé cesse de ruminer.

Est-ce que les vaches à hublots vont se généraliser ? Pourquoi diantre ferait-on ça ? Dans un élevage, ça n’a absolument aucun intérêt. Les fermes ne sont pas équipées de laboratoires d’analyses. Les éleveurs sont des gens pragmatiques : s’ils font quelque chose, c’est que ça a (presque) toujours une incidence concrète. Je mets « presque » entre parenthèse, car je connais des éleveurs qui mettent des porte-bonheur au dessus des cases des veaux. je ne suis pas convaincue par l’utilité de la chose, même si je trouve ça choupinet, mais revenons à nos hublots. L’installation de ces trappes a un coût et je doute que tous les vétérinaires sachent le faire. Pourquoi les éleveurs dépenseraient de l’argent pour installer sur leurs vaches un bidule qui ne leur servirait absolument à rien ? En France, c’est l’INRA qui procède à ces expériences, sur un cheptel d’une vingtaine de bovins. D’ailleurs, chaque nouvelle installation de hublot doit obtenir en amont l’accord d’un comité d’éthique : il faut donc prouver l’intérêt de la chose. D’autres centres de recherche dans d’autres pays ne procèdent pas différemment. Mais les vaches à hublot ne sortiront pas du cadre de ces recherches, simplement parce que ça ne servirait strictement à rien.

J’entends déjà ceux qui diront qu’une vache est faite pour manger de l’herbe et qu’il n’y a nul besoin de procéder à des expériences pour le savoir. Ça n’est pas si simple. Qu’entend-on par « herbe », car il y en a de plusieurs sortes. Si elles ne mangent que du ray-grass, elles seront carencées, comme nous si on ne mangeait qu’un aliment unique. Mais c’est un autre sujet, et j’y reviendrai un autre jour.

Je me contenterai aujourd’hui de rassurer les inquiets et d’informer les paranoïaques : non, on ne va pas installer des hublots sur toutes les vaches de nos vertes prairies.

* Les curieux et les dubitatifs trouveront ledit document en ligne dans la bibliothèque Gallica.