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Une seule nuance de librairie

Une fois n’est pas coutume, j’ai eu quelques heures à passer à la ville. Me voilà donc à flâner dans un centre-ville uniformisé, quand j’aperçois soudain une librairie. Cliente habituelle du honni méchant américain Amazon, je décide de faire amende honorable et d’aller chercher ma dose de pages imprimées mensuelle dans la boutique de cette chaîne bien de chez nous, chapitre.com, dont le slogan est, je cite, « bien plus qu’une librairie ».

Une émission littéraire (*) m’ayant récemment convaincue, à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage, de me plonger dans l’univers de Tom Wolfe, j’entre donc dans cette boutique, décidée à acquérir le Bûcher des vanités. Je ne doute pas un instant qu’il sera en tête de gondole. En effet, il me semble évident que lorsqu’un auteur d’envergure internationale publie un nouveau livre dont on entend parler sur toutes les chaînes, sur toutes les ondes et dans tous les journaux, un libraire digne de ce nom, en plus du récent ouvrage, se doit de mettre en avant tous les précédents livres du même auteur, ou au moins de les avoir en stock. Hélas ! Les libraires jadis prescripteurs sont devenus des épiciers du livre. En quatre endroits de la boutique est proposé le best-seller Cinquante nuances de Grey. Sur une autre étagère encore, on trouve la déclinaison de Cinquante nuances de jaune, vert, rouge et violet à pois verts et encore attenants les Nuances de l’âme à la dizaine ou à la vingtaine. On trouve même un présentoir de cosmétiques, produits dérivés de je ne sais quel torchon célèbre. Mais de Bûcher des vanités nulle trace. D’ailleurs, le quart des étagères est vide comme un rayon pâtes après l’annonce d’une grève des routiers.

Je peste et bisque et tente de me rabattre sur la littérature nippone. Mais le libraire, celui avec des murs, un fonds à gérer et qui est « bien plus qu’une librairie », celui dont la ministre ne cesse de dire qu’il faut le sauver du méchant vendeur en ligne américain, ce libraire dont le rôle de prescripteur ne doit pas être négligé, ne propose pas de littérature nippone en dehors du best-seller 1Q84 et de quelques ouvrages de Yoko Ogawa que par malchance j’ai déjà lus. Pas même un seul ouvrage de Mishima en vue.

N’attendant plus grand chose de cette librairie, je me dirige néanmoins vers le rayon BD, puisque le dernier tome du Combat ordinaire de Larcenet manque encore à ma bibliothèque. Notez que je ne suis pas en quête d’un sombre album connu seulement de quelques aficionados de la bulle, mais d’un auteur ayant vendu près de deux millions d’ouvrages. Mais là encore, point de Larcenet en rayon. Je note au passage qu’outre un classement inexistant, le rangement des BD est si mal fait sur des étagères moitié vides que les ouvrages en sont tout tordus. Qui donc achèterait un album déjà abîmé, me demandé-je, quand j’aperçois, dans un sombre recoin, un rayon « BD alternative » vers lequel je me précipite. Un premier coup d’œil m’apprend que Dargaud est une maison d’édition alternative. Mais aussi que Goscinny est un auteur alternatif. Et que Maus, le classique de la bande dessinée, est encore une œuvre alternative. J’aimerais savoir quel sens ce vendeur de livres donne au mot alternatif.

Je suis donc ressortie de cette épicerie à papier les mains vides. Je commanderai ma consommation mensuelle d’œuvres chez le grand méchant vendeur en ligne américain, où seuls les livres de toutes façons indisponibles ne se trouvent pas dans sa boutique virtuelle. La livraison à domicile me fera économiser le pétrole et le parcmètre, ce qui me permettra d’acheter un livre de poche supplémentaire. Et je continuerai à ne pas défendre la librairie en dur qui répond mieux aux demandes des consommateurs de papier qu’à celles des amoureux des belles lettres.

* Si si, il en existe encore.