C’est de notoriété publique: la secrétaire de la police municipale est une vieille grincheuse acariâtre qui prend un malin plaisir à vous compliquer la vie.
Si vous l’avez au téléphone pour une urgence, elle ne manque pas de vous signifier que vous pourriez vous débrouiller un peu tout seul. Si vous déposez une demande de passeport et qu’une pièce est manquante, préparez-vous à vous faire tancer comme un collégien qui a oublié son carnet de correspondance. Si vous vous présentez pour un relevé d’empreintes avec les ongles sales, soyez certains de vous faire humilier à haute voix pendant de longues minutes.
Quand, pour une raison quelconque, vous dites à votre voisin « je dois passer à la municipale », il vous tapote l’épaule avec compassion en vous souhaitant bon courage.
Un jour, pourtant, s’est présenté un clown. C’était son métier qu’il était venu pratiquer quelques jours dans la région, et il lui fallait obtenir une autorisation pour monter sa petite structure de spectacle sur la place.
Évidemment, la mégère l’a accueilli froidement:
« Qu’est-ce que vous voulez, vous? Vous n’êtes pas d’ici! »
Le clown a vite envisagé la capacité de nuisance de la rombière: elle est typiquement le genre de rouage du système administratif qui peut vous empêcher de respirer si l’envie lui en prend.
Et il a appliqué sa formule magique:
« En effet, je viens d’ailleurs. Dites donc, ils pourraient faire un effort, à la mairie, et vous mettre dans un bureau plus éclairé! »
C’est à cet instant que le miracle s’est produit. La secrétaire de la police municipal a presque sourit. Pour être précis, sa bouche s’est légèrement tordue vers le haut. Puis elle s’est lancée dans une longue tirade:
« Ha! Mais ça! Vous avez remarqué aussi? Depuis le temps que je leur dit que ce bureau ne ressemble à rien! Et encore! Vous ne vous êtes pas assis sur mon fauteuil: je ne sais pas de quand il date, mais j’en ai mal au dos, si vous saviez! A en pleurer le soir! Ha mais, vous savez ce que c’est! C’est partout pareil! On méprise le petit personnel! Mais ici, c’est pire! »
Quand elle n’a plus eu assez de souffle pour expirer tous les griefs qu’elle avait contre le monde entier, elle s’est occupé de l’autorisation du clown, en bavardant gaiement de la pluie et du beau temps.
Après cet épisode, la secrétaire de la police municipale est restée aimable quelques jours, puis, elle s’est remise à râler. Seuls les petits malins qui ont compris la formule magique du clown arrive parfois à l’adoucir un peu.