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Chroniques du Monde Normal (saison 2)

Voilà quelques années que nous n’avions plus visité le Monde Normal mais pris de curiosité – ou de nostalgie – nos courageux observateurs y sont retournés ! Le Monde Normal a visiblement changé très vite, et toutes les petites choses qui nous dépassaient déjà se sont multipliées.

Nous allons donc, ces prochains mois, remettre à jour notre Guide du Monde Normal à l’usage de celles et ceux qui souhaiteraient s’y rendre. Néanmoins, si vous souhaitiez y aller avant la parution de ce Guide, nous vous appelons à la plus grande prudence. Nos observateurs sont revenus entiers mais épuisés et leurs récits encore un peu décousus ont fait frémir la rédaction. Le Monde Normal semble être traversé d’un grand nombre de flux contradictoires engendrant une certaine véhémence chez ses habitants. Évitez donc les voyages mal préparés en ces lieux.


Un héritage dilapidé

En regardant un reportage sur la télé locale, hier, j’ai eu beaucoup de peine. Ça parlait de l’association Jeudi Dimanche, fondée par le père Jaouen. Tout le monde sait que je n’aime pas beaucoup les bondieuseries, mais le père Jaouen, c’était un Bonhomme, oui, avec une majuscule, comme on n’en fait plus et comme on n’en fait pas beaucoup chez les laïcs. Je pense sincèrement que certains engagements nécessitent de croire à plus grand que soi, sinon, ça n’est juste pas tenable, ou pas longtemps.

Michel Jaouen, jésuite, était aumônier des mineurs à la prison de Fresnes. Non content d’essayer de leur simplifier la sortie de prison, en bon Breton d’Ouessant qu’il était, il a décidé de les emmener en mer. Et quand il a constaté que les problèmes de toxicomanie allaient grandissant, outre de jeunes délinquants, il a embarqué en mer des personnes toxicomanes. Quoi de mieux qu’une Transatlantique pour se confronter à soi-même, apprendre à vivre avec l’autre et se dépasser de sorte à avoir une réussite sur laquelle s’appuyer pour sortir d’une spirale de l’échec ?
Il ne devait pas être facile, notre Bonhomme : il en faut du caractère pour faire des trucs pareil ! Et à lui tout seul, il a quand même aidé 15 000 personnes dans sa vie. 15 000 !
Il est mort il y a trois ans, à 96 ans, et j’ai été fort triste. Je ne l’ai jamais rencontré, mais connaissant son parcours, ayant moi-même bossé – mais pas toute une vie – avec des jeunes dits délinquants et des personnes toxicomanes, je ne pouvais que comprendre son engagement, et le respecter très fort. L’humain étant un tissu de contradiction, je bouffe trois curés tous les matins et le vieux Jaouen figure dans mon Panthéon personnel.

Seulement, d’après le reportage d’hier, maintenant, son association accompagne essentiellement des jeunes de bonnes familles qui ne savent pas ce qu’ils veulent faire dans la vie. Oh, je ne dis pas que c’est indigne, ni que ça ne sert à rien : tant mieux si ça existe. Mais ça n’a pas la même gueule, pas les mêmes tripes, et pardon du vocabulaire qui ne l’aurait pas choqué, pas les mêmes couilles.
Et surtout, maintenant, où peuvent encore aller les gamins vraiment paumés et les personnes toxicomanes ? Qui se soucie encore d’eux ?

Ce monde est plein de choix de facilité, et pas assez riche de pères Jaouen.


La Flèche Jaune de Viktor Pelevine

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La Flèche Jaune est un train, un train immense dont personne ne connaît ni le point de départ, ni celui d’arrivée. Et dans ce train, c’est toute la société russe post-soviétique qui voyage d’un passé inconnu vers un avenir incertain.

Ce court récit, parfait pour un voyage en TGV, n’est pourtant pas de la littérature de gare. Le portrait désabusé que Viktor Pelevine trace de la société russe est sous tendu par la plus fondamentale des questions métaphysiques : d’où venons-nous et pour aller où ? On pourrait lire La Flèche Jaune sans connaître la nationalité de l’auteur et la deviner en quelques pages : on retrouve ce surréalisme poisseux et sans illusion ni concession si propre à la littérature russe contemporaine. D’ailleurs, La Flèche Jaune peut être une bonne porte d’entrée pour cette sorte de littérature.


La Hollande ou les réfugiés du XVIIe siècle

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Faisons ensemble un petit détour par l’Europe de la fin du XVIe siècle et du XVIIe.

Le moyen-âge touchait alors à sa fin, mais les plus obscurantistes s’attachaient d’autant plus à leurs archaïsmes. Ils font toujours ainsi, les obscurantistes.

L’Inquisition portugaise converti de force au moins autant de Juifs qu’elle en massacre. L’Inquisition espagnole fait la même chose, mais les Juifs ne lui suffisant pas, elle s’en prend aussi à à peu près tout ce qui n’est pas bien catholique : Protestants, Musulmans, homosexuels, fornicateurs et blasphémateurs, sorcières et toutes sortes d’ «hérétiques ». Impossible d’oublier les exactions de Torquemada, passé maître dans l’art de mettre en place un vaste réseau de délation afin de mieux torturer et détruire. En France, c’est la guerre de Trente ans puis le grand massacre des Protestants de la Saint Barthélémy. Partout, on brûle des gens, des livres et des idées. En Italie, Galilée doit renier sa découverte du système hélio-centré. En Allemagne, les protestants ne sont pas plus à la fête qu’en Angleterre.

Il se passe alors un phénomène qui n’a rien de nouveau : les intellectuels de tous ces pays, dénigrés, maltraités et en danger, fuient ces pays où on ne peut pas réfléchir rationnellement. Or, il y a un pays en Europe qui a décidé de défendre la liberté d’expression, d’enseignement et de recherches : c’est la Hollande. Alors que l’Europe entière brûle les livres, la Hollande en imprime énormément, en particulier ceux qui sont interdits ailleurs. Alors que le Vatican souhaite que la Terre soit le centre de l’univers, les Hollandais et leurs invités développent les meilleurs télescopes de l’époque, munis des meilleures lentilles existantes et découvrent la surface de Mars et les anneaux de Saturne. La Hollande a le meilleur niveau d’instruction du monde : on sait qu’alors, même les paysans du pays savent lire et écrire. Et ça n’a rien d’un miracle. L’une des bases du protestantisme, c’est la lecture des Écritures sans intermédiaire. Or la Hollande a accueilli énormément de réfugiés Protestants, instruits pour la plupart, bourgeois et souvent érudits. Et une fois qu’on sait lire, il n’est pas plus compliqué d’apprendre l’arithmétique. Les Hollandais deviennent vite très bons dans ce domaine aussi.

Tant d’intellectuels se sont réfugiés en Hollande, tant de salons s’y tiennent qu’on y découvre en quelques décennies : le microscope, les microbes, les spermatozoïdes, les globules rouges, les satellites de Jupiter, des horloges à balancier d’une grande précision grâce auxquelles on arrive enfin à calculer la longitude ; on découvre des concepts clés tels que le moment d’inertie, le centre d’oscillation ou la force centrifuge.

La Hollande de l’époque n’est pas seulement le centre du monde scientifique, c’est aussi un haut lieu de la philosophie, de la médecine, de la littérature, de la peinture, de l’architecture, de la navigation, de la sculpture et de la musique. Rien que ça. Et tout ça parce que la Hollande a ouvert ses portes aux intellectuels en fuite.

Le grand philosophe Spinoza était fils de réfugiés juifs portugais. La philosophie moderne ne serait rien sans Spinoza. Après la condamnation de Galilée, Descartes qui n’en pensait pas moins se réfugie lui aussi en Hollande. Il pourra en outre y pratiquer nombre de dissections, pratique interdite par l’église catholique, mais pratique sans laquelle la médecine moderne ne serait jamais née.

Nombre de réfugiés n’ont pas laissé leur nom dans l’histoire, ils ont pourtant pour beaucoup participé à cet incroyable essor des sciences et techniques du XVIIe siècle, d’abord parce qu’ils étaient souvent déjà très instruits en arrivant, ensuite parce que leur culture apportait une vision différente des choses, enfin parce qu’ils ont été parfaitement intégrés à la société hollandaise de l’époque.

Chaque engin spatial lancé aujourd’hui est le descendant direct des recherches menées à l’époque dans un pays qui avait ouvert grand ses portes et choisi la liberté d’expression absolument impossible partout ailleurs. Cette politique libérale permit à la Hollande de connaître son âge d’or qui profite encore aujourd’hui à l’ensemble de l’humanité.

Une autre fois, nous parlerons de la fuite massive des cerveaux européens vers les États-Unis dans les années trente et tout ce que ça a apporté à ce pays qui a su alors accueillir et intégrer ces réfugiés.


La télé-réalité intelligente existe.

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J’en étais donc là, à zapper mollement en sortant du boulot, quand je suis tombée sur une émission de télé-réalité absolument fascinante. Si si.

J’ignore le nom de cette émission, mais on nous montrait le quotidien des draveurs du Yukon. Le Yukon, c’est un fleuve en Alaska : un endroit aussi dangereux que sublime. Draveur, c’est une profession qui n’existe pas en France mais qui est très connue dans le nord de l’Amérique. A la base, c’était les gens qui conduisaient les trains de grumes sur les fleuves (*), aujourd’hui, ce sont visiblement surtout des gens qui descendent le fleuve sur des radeaux qu’ils ont construits eux-mêmes pour ramasser et débiter le bois flotté charrié par ledit fleuve afin de le revendre dans les villages comme bois de chauffage. A la fin de leur périple, ils démontent aussi le radeau et en revende le bois.

Vous imaginez bien que le quotidien, dans ce contexte, est une véritable aventure, dangereuse et fascinante.

Les chaînes françaises produisent beaucoup d’émissions de télé-réalité qui sont très loin de toute réalité. La plupart du temps, on nous y montre des gens esthétiquement très présentables selon les normes en vigueur, mais seulement jusqu’à ce qu’ils ouvrent la bouche : on ne voit que des décérébrés parfaitement inutiles au monde vaquant à des activités qui n’existent pas dans la vraie vie. Des sortes d’humains en plastique dans un bocal bien chauffé.
Là, je voyais défiler sur le Yukon des vrais gens, des gueules cassées, des bouches édentées au milieu de barbes crasseuses, de vraies tronches sans qui les habitants des villages d’Alaska manqueraient sans doute de bois de chauffage. Je voyais des vrais gens qui vivaient une vraie aventure, pas pour la gloire mais, soyons clairs, pour le fric, car visiblement le bois est cher dans ces contrées. Même si une part du bidule est sans doute scénarisée, ça n’en était pas moins des vraies vies.

Je me suis imaginée môme devant ce programme et je suis sûre que j’aurais adoré cette fenêtre ouverte sur un coin paumé du monde où des gens se remuent l’arrière-train avec beaucoup de savoir-faire sur de superbes radeaux d’une dizaine de tonnes.

Et j’y ai vu une émission de télé-réalité intelligente.

Oh , ne mélangeons pas tout : je n’ai pas dit intellectuelle. Seulement intelligente : on nous montre là l’étendu des possibles. On nous donne à voir des gens fracassés à bien des égards héros de leur propre rude vie.

Ça n’est pas la première fois que je tombe sur ce genre de programmes, il en existe pas mal avec des tas de professions plus ou moins délirantes, mais toujours manuelles. De ces émissions qui doivent pousser pas mal de gosses à se dire « wahou ! Je veux faire ça quand je serai grand ! » Des modèles accessibles.

En re-zappant, j’ai vu que les seuls métiers que les émissions françaises nous donnent à voir, ce sont les flics, les gendarmes, les douaniers, quelques médecins et encore la police.
Pour les gamins, on a bouché l’horizon. On ne leur montre pas l’étendue des possibles, même les plus cinglés. On leur montre seulement qu’un pas de côté mène en prison.
On peut reprocher plein de trucs aux États-Unis, mais au moins savent-ils encore faire rêver tous les gosses, et pas seulement ceux qui passeront par les lycées d’élite.

(*) Si le sujet vous intéresse, j’en profite pour vous conseiller la lecture de Dernière nuit à Twisted River de John Irving.


Les Filles d’Allah de Nedim Gürsel

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Les filles d’Allah, ce sont les déesses pré-islamiques qui se partageaient les croyants de la Mecque avant l’arrivée de Mahomet : Lat, Manat et Uzza. Elles sont trois des quatre narrateurs de ce roman qui se penche tant sur le développement de l’Islam que sur l’histoire récente de la Turquie grâce au quatrième narrateur qu’est l’auteur lui-même.

Entre histoire, poésie et mythologie, Nedim Gürsel nous emmène dans un voyage très instructif dans le temps. On découvre les mythes pré-islamiques, non sans écho aux Versets Sataniques de Rushdie, l’histoire du prophète de l’Islam et le développement du nationalisme turc. Au delà, il nous raconte aussi comment un enfant grandit dans la peur de l’enfer, comment la foi se forge et se délite, comment l’horreur de la guerre entre en résonance avec l’horreur de l’enfer promis aux mécréants et aux pécheurs.

Aussi didactique soit-il, ça n’en est pas moins un roman admirablement mené et terriblement bien écrit. Sans être à proprement parlé un pamphlet – c’est bien trop poétique pour ça – Les Filles d’Allah n’en est pas moins une critique de l’intégrisme religieux autant que du nationalisme.

Évidemment, Nedim Gürsel a dû faire face, en Turquie, à l’accusation de blasphème pour ce roman, quoi qu’on est en droit de se demander si ça n’est pas plutôt son rejet du nationalisme qui a réellement posé problème pour ses accusateurs.


Une boutique de rêve

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Bien des années après avoir quitté cette petite ville de Provence, je me souvenais encore de cette petite boutique de livres d’occasion située dans une ruelle tortueuse. Rien, nulle part, n’en indiquait la direction. On arrivait là en se promenant dans cette vieille cité, au hasard des traverses où les sommets des hautes et étroites bâtisses semblaient s’être rapprochés au fil du temps. Le soleil n’atteignait jamais les pavés, et on venait chercher là un peu de fraîcheur – toute relative – lors des chaudes journées d’été.

On pénétrait dans cette échoppe par une porte vitrée gravée de lettres gothiques dorées. Une cloche tintait et on découvrait alors un incroyable labyrinthe de piles bancales de vieux ouvrages et d’autres plus récents dans une toute petite pièce surchargée en son centre d’étagères. On ne pouvait circuler entre elles que de profil, en veillant à ne pas même effleurer les amoncellements de livres posés à même le sol. Il y avait là les livres d’histoire, entreposés jusqu’aux poutres sombres et massives du plafond. À gauche de cette pièce, en face de la porte, montait un escalier de bois vermoulu qui grinçait à chaque pas. Contre le mur, tout le long de cet escalier, sur des étagères bancales, on trouvait les récits de science-fiction, et sur la mezzanine pas moins encombrée que la pièce du bas, les livres de littérature générale. Dans toute l’échoppe flottait une odeur de poussière.

Le bureau surchargé de vieux papiers du bouquiniste était au fond de la boutique, au rez-de-chaussée. C’était un meuble massif en acajou recouvert d’un sous main en cuir brun sur lequel trônait une lampe de juriste qui diffusait sa lueur glauque dans cette sombre boutique sans autre éclairage. Le bouquiniste lui-même avait l’air aussi âgé que sa boutique. Il portait de petites lunettes aux verres épais cerclés de métal sur un nez qu’il avait proéminent et sous des sourcils broussailleux. Il ne levait le nez de sa lecture en cours qu’à contrecœur et juste le temps d’encaisser le prix des livres qu’on achetait. Je n’ai jamais entendu le son de sa voix : dans le meilleur des cas, il se contentait de grommeler à l’entrée d’un client. Quel que soit le livre qu’on cherchait, on le trouvait toujours chez lui, pas toujours en bon état et systématiquement poussiéreux. Mais il fallait le chercher soi-même dans le classement foutraque de la boutique : le propriétaire ne répondait jamais aux questions qu’on pouvait lui poser, trop absorbé qu’il était par ses propres lectures.

Quelques années après avoir quitté cette petite ville, le hasard m’y mena de nouveau. Je décidai donc de retourner dans cette bouquinerie bien fournie. J’arpentai les rues et les traverses un long moment sans jamais retrouver la boutique ni rien qui lui ressembla, alors qu’aucune rénovation n’avait été réalisée entre-temps dans ce vieux centre bourg. Je retrouvai bien l’étroite ruelle en question, mais de la boutique : nul signe. Après un long moment à errer ainsi, je questionnai une vieille dame qui passait par là. Elle me soutint que jamais à sa connaissance il n’y avait eu de bouquiniste dans ce quartier où elle était née. Je la laissai partir et interrogeai un autre passant qui me fit la même réponse.

Je me questionnais longtemps à ce sujet. Ne croyant guère aux boutiques magiques qui disparaissent, je dus me rendre à l’évidence : j’avais rêvé l’existence de cette bouquinerie avec une telle force que son souvenir c’était installée dans ma mémoire comme n’importe quel lieu bien réel.


Moonrise Kingdom de Wes Anderson

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Je vais encore vous parler de Wes Anderson. Je comprends bien que ça peut être agaçant de toujours voir les mêmes réapparaître ici, mais qu’y puis-je si ce réalisateur est formidable ?

Avant de visionner Moonrise Kingdom, débarrassez-vous de votre sérieux d’adulte. Il ne vous servira à rien, et il risquerait même de vous gâcher le plaisir. Si vous n’êtes pas capable de vous laisser porter par une naïveté un peu surréaliste, si la poésie, le rêve, l’esthétique colorée sont des choses qui ne vous parlent pas, vous n’aimerez pas ce film. Si au contraire vous aimez les contes, si le réalisme sévère vous ennuie et que la lecture occupe une place importante dans votre cœur, laissez-vous emmener par deux enfants qui partent à l’aventure.

Pour ma part, je ne me lasse pas de la spécificité du cinéma de Wes Anderson et de ses incroyables castings pas plus que de la musique d’Alexandre Desplat. L’ensemble est frais, esthétiquement irréprochable – on sent bien le réalisateur tatillon – et tous ceux qui aiment simplement qu’on leur raconte de belles histoires ne pourront que tomber sous le charme.

Quand on a vu plusieurs films d’Anderson, on reconnaît sa patte dès les premières images, pourtant toutes ses histoires diffèrent. On retrouve toujours un petit quelque chose d’enfantin et de mélancolique, ce petit quelque chose qui fait plaisir, qui fait du bien, et on en redemande, si bien qu’il faut vous attendre à ce que je revienne encore sur d’autres de ses films.

 


La Vie Aquatique de Wes Anderson

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C’est le troisième film de Wes Anderson que je visionne, et j’en suis maintenant assurée : ce type est génial. Voilà quelqu’un qui est capable d’apporter un grand bol d’air frais au cinéma. La Vie Aquatique ne ressemble à rien d’autre. Le sens de la photographie de ce réalisateur est déjà en soi un plaisir pour les yeux, mais tout le reste est de la même qualité : sa capacité à faire de la musique un personnage à part entière – et David Bowie en portugais, il fallait oser – , ses personnages attachants quels que soient leurs défauts, la réalisation globale maîtrisée du début à la fin.

Wes Anderson est aussi capable d’utiliser des acteurs à contre-emploi. Qui aurait pu penser à faire jouer un crétin à Willem Dafoe ? Sérieusement ? On parle quand même du gars qui a incarné Jésus ! Et pourtant, on a là l’un des crétins les plus crédibles de l’histoire du cinéma ! Quant à penser à Bill Murray pour incarner un Commandant Cousteau parodique … Alors forcément, l’ensemble est un film surréaliste, d’autant plus que les images de fonds marins sont toutes fausses, fausses comme les montages que faisait feu le Commandant.

La Vie Aquatique est un film à la fois drôle et désenchanté, avec ce petit quelque chose d’enfantin propre aux films de Wes Anderson. C’est original, humain, mélancolique ; c’est aussi naïf et coloré. Bref : c’est un film réussi à voir et à revoir.


L’enfant de la plantation de José Lins Do Rego

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Si le naturalisme à la française peut parfois être pénible à lire, le naturalisme brésilien évite tous les écueils du précédent : ici, pas de longues et pénibles descriptions de détails sans intérêt. Pourtant, dans cette ballade au cœur du quotidien d’une plantation de canne à sucre du début du vingtième siècle, on saisit l’essence même de la société rurale du Brésil. Tout y est : la faune et la flore, les rapports sociaux, le rôle des femmes, l’histoire de la fin de l’esclavage – qui perdure sous forme de servage -, l’économie, le paternalisme …

C’est par le regard d’un enfant que l’on découvre tout cet univers, mais si la vie y est rude, la plume de l’auteur n’est pas sans tendresse. L’ensemble est à la fois très cru et très vivant, la lecture ne manque ni de senteurs ni de couleurs. Blaise Cendrars en conseillait la lecture, et on comprend vite pourquoi l’auteur bourlingueur appréciait tant L’enfant de la plantation.

Si ce livre est un classique au Brésil, il aura fallu attendre longtemps pour y avoir accès en français, et il serait dommage de s’en priver. Ajoutons que les éditions Anacoana continuent de nous offrir des ouvrages qui sont aussi de beaux objets, joliment illustrés et imprimés sur un papier de qualité, ce qui ajoute au plaisir de la lecture celui d’avoir un beau livre entre les mains.