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La ministre, le virus et l’hôpital

Dans le genre casse-gueule, la gestion de crise face à un virus en vadrouille, ça se pose tout de même là.
Pour rien au monde je ne voudrais être responsable des décisions à prendre : qu’on agisse ou pas, il est absolument impossible de prendre une décision parfaite.

En 2009, Bachelot en avait pris plein la tronche avec la gestion du H1N1. L’OMS préconisait alors « de vacciner, par ordre de priorité, les catégories suivantes de la population : les femmes enceintes, les enfants de plus de 6 mois atteints d’une affection chronique grave; les personnes en bonne santé âgées de 15 à 49 ans; les enfants en bonne santé; les adultes en bonne santé âgés de 50 à 64 ans et les adultes en bonne santé âgés de 65 ans et plus.  » Au fond, Bachelot n’a fait que se conformer à ces recommandations. Tant mieux pour nous, pas de bol pour elle : le virus s’est avéré bien loin d’être celui qui remplacerait la grippe espagnole dans les annales. Mais si l’OMS ne s’était pas trompée ?

Hier, Buzyn disait que le risque était quasi-nul de voir le coronavirus en France. Elle s’appuyait pour ça sur une étude de l’Inserm qui évaluait le risque qu’un patient infecté par le nouveau coronavirus arrive en France était de 5% à 13%. Ces calculs ont été faits à l’aide d’un modèle d’évaluation statistique basé sur le trafic aérien. Aucun outil statistique ne saurait être parfait, la preuve : quelques heures plus tard, trois personnes s’avéraient infectées en France.

Quand l’ombre (fort palote dans le cas de ce nouveau virus) d’une possible pandémie se pointe, l’OMS a toutefois une recommandation systématique : « préserver l’intégrité du système de soins et des infrastructures essentielles ». Et ça, ça n’est possible que sur un système hospitalier sain et fonctionnel.
Je ne taperai pas sur Buzyn pour la gestion de cette crise : aucun humain ne sera jamais capable de prendre des décisions irréprochables face à l’inconnu. A l’impossible nul n’est tenu. Par contre, ce qui démultiplie les risques en cas de pandémie, ça n’est pas la réaction immédiate d’un ministre à une crise ponctuelle, c’est l’état général du système de santé du pays. Buzyn ne nous met pas en danger parce qu’elle fait une déclaration foireuse qui par ailleurs ne s’appuie pas sur du vent, elle nous met en danger parce qu’elle finit de détruire un système de santé déjà trop dysfonctionnel pour gérer un flux normal et donc absolument inadapté pour le jour où survient une crise.


Le Moyen-Âge des premiers secours

Il y a parfois … non, en fait souvent … des trucs qui me donnent des envies de distribution de paire de baffes.

Par exemple : regardez n’importe quel site russe, américain ou israélien donnant des informations sur les premiers secours, qu’il soit officiel, militaire ou « survivaliste », tous vous expliqueront qu’un kit de secours doit impérativement comporter ce qu’on appelle un « garrot tourniquet » au même titre qu’on doit y trouver une couverture de survie, des bandages ou des gants. Regardez les mêmes sites en France, et vous verrez des garrots tout pourris bricolés au mieux avec une ceinture ou un bandage, au pire, et c’est une catastrophe, avec un élastique ou un lacet. On ne trouve des garrots tourniquets que chez certains survivalistes : ceux qui s’informent chez les Russes, les Américains ou les Israéliens. Et on n’apprend même pas à se servir de vrais garrots dans les formations de premiers secours officielles.

Malgré les attentats après lesquels on pouvait espérer une prise de conscience de la nécessité d’avoir un maximum de gens formés dignement, y compris au traitement d’urgence de blessures de guerre, car les attentats provoquent des blessures de guerre (ainsi que certains accidents de bagnole au demeurant), la France en est encore au Moyen-Âge des premiers secours.

Alors oui : poser un garrot est risqué. Mais vachement moins que de laisser une artère pisser sans rien faire. Et un vrai garrot met infiniment moins en danger qu’un putain d’élastique, bordel !

Vous voulez un conseil pragmatique ? Apprenez à vous en poser un vrai tout seul, y compris avec une seule main. Franchement, ça me semble infiniment plus raisonnable que de laisser faire le premier niquedouille mal informé qui passe …


Arte et les hackers russes : l’investigation de surface

« Les nouveaux mercenaires russes » est un documentaire proposé en replay sur le site d’Arte. Le synopsis nous promet des « rencontres avec des hackers russes » et « une investigation fouillée et concrète, qui dévoile la réalité derrière les fantasmes. » Voilà une belle promesse journalistique.

La vidéo s’ouvre sur une musique angoissante. S’il y a bien un procédé que je déteste quand on parle de journalisme, c’est l’utilisation de musique angoissante : ça montre immédiatement le parti pris. A un moment, il faut se décider : on tourne un documentaire ou Les dents de la mer ? On veut nous informer ou nous faire peur ? Personnellement, si je veux regarder un documentaire, c’est pour m’informer. Si je veux jouer à me faire peur, ce ne sont pas les fictions qui manquent . Et puis ça continue sur la forme : on a une mise en scène digne d’un étudiant de première année sans imagination du début des années 2000. Mise en scène d’échanges de SMS, recherches Google à l’écran : le niveau zéro de la mise en forme quand on parle d’Internet. Mais ne soyons pas trop sévère, après tout, la forme n’est pas ce qu’il y a de plus important.

Sauf que le fond ne vaut guère mieux. Pendant plus d’une heure, en guise de preuve on ne nous montre que des intimes convictions. Je me suis toujours demandée combien d’innocents avaient été condamnés sur la base d’intimes convictions sans preuve. Pire, le documentaire ne parle de preuve que dans les deux dernières minutes, sans jamais nous en dire plus que « promis on les a !». La seule preuve qu’on nous assène concernant telle ou telle attaque de hackers russes, c’est une trace laissée par les hackers eux-mêmes montrant un ours. Non mais franchement, les gars… Certes les Russes eux-mêmes adorent l’image de leur ours national, mais si je voulais jouer à pointer la responsabilité vers la Russie, moi aussi, je mettrais un ours ! Ça n’est pas une preuve, ça !

Quand aux rencontres avec des hackers russes, il s’agit essentiellement de rencontres réalisées dans le cadre d’un très officiel festival du hacking à Moscou, un festival public où n’importe qui peut se rendre à visage découvert. Ce type d’événement existe dans quasiment tous les pays et n’a absolument rien de secret. Et le fait qu’on y croise le conseiller cyber de Poutine n’a rien de très étonnant en soi. La seule chose étonnante, c’est que le dit conseiller de Poutine comprend très bien le français.

Voilà donc un documentaire qui ne sert au final qu’à deux choses : participer à construire l’image des grands méchants russes en s’appuyant au final sur bien peu de choses, et sans doute faire rudement plaisir à la Russie en sur-évaluant très certainement le danger réel et ça, c’est super bon pour sa com’. Si personne ne doute que le gouvernement russe fait appel à des cybermercenaires, il n’y a rien de délirant à envisager que leur nombre et leur efficacité n’est pas forcément aussi vaste qu’on nous le vend, mais que Poutine aime bien qu’on le croit. En outre, il faudrait pouvoir comparer avec d’autres pays qui ne doivent pas être en reste sur ce drôle de champ de bataille, mais ça n’est pas avec ce documentaire qu’on pourra le faire.

Donc voilà : une heure trente pour ne rien apprendre, sauf peut-être qu’Arte propose toujours moins de journalisme et toujours plus de partis pris. C’est au moins une bonne nouvelle pour les compositeurs de musique qui fait peur.


De l’eau potable quoi qu’il arrive, ou presque.

Ça n’est pas nouveau : je n’ai aucune confiance dans la capacité, à moyen et long termes, des pouvoirs publics et entreprises privées à nous fournir de l’eau potable. Les sécheresses répétées concentrent les pollutions, une cuve à lisier qui lâche – ce qui arrive beaucoup trop souvent – et c’est un cours d’eau de captage qui devient inutilisable, un Macron qui décide de relancer des forages miniers ici ou là, surtout ici, et nous voilà dans une situation proche de celle des habitants de Flint, Michigan, une sécheresse plus grosse que d’habitude qui met à sec le même cour d’eau … Il y a de multiples raisons qui peuvent rendre l’eau du robinet non potable ou tout simplement inexistante.
Je me suis donc équipée d’un système de filtration relativement sommaire : un Berkey® de huit litres. Le fabricant jure que ça rend n’importe quelle eau potable. Mais forcément, il ne va pas dire le contraire, et je ne crois personne sur parole.

Sauf qu’en France, faire tester de l’eau, ça coûte cher et c’est un peu compliqué. Alors j’ai commandé un système de tests relativement complet outre-Atlantique. C’est beaucoup moins cher et simple d’utilisation si on sait lire l’anglais.

J’ai donc pris l’eau la plus crade dont je dispose. De l’eau de pluie qui a ruisselé sur un toit de hangar rouillé, où il y a forcément un minimum de fientes de piafs, celle qui a forcément ramassé les pesticides lors des traitements agricoles alentours et qui est stockée de longue date dans des grands bidons noirs – certes en plastique alimentaire – ouverts, avec un fond de feuilles pourries et plein d’insectes noyés. Et sans doute un peu de bave de biquettes. J’ai passé cette eau crassouille dans le système de filtration, puis j’ai testé l’eau.

Pesticides : queudalle. Nitrite, nitrate, fer, cuivre, plomb, chlore : queudalle. Ph : 6,5, très légèrement acide, le pH conseillé de l’eau potable doit se situer entre 6,5 et 8,5, on est dans les clous. Alcalinité normale, même si je n’ai pas trop compris à quoi ça sert. Dureté idem.
Test bactériologique réussi : il ne traîne rien du tout dans l’eau croupie après passage dans le filtre.
On est donc passé au test ultime : un volontaire en a bu un grand verre. L’eau n’avait aucun goût particulier, et le volontaire est toujours vivant avec des intestins intacts.

Vous pouvez donc foncer : si les charbons sont correctement posés, ce système de filtration est parfaitement fiable.

Je suis certaine que cette démarche en fera rire quelques-uns qui n’y verront que paranoïa. Actuellement, plusieurs grandes villes vénézuéliennes et pas mal de bleds américains n’ont plus d’eau potable. Je suis certaine qu’il y a quelques années, nombre d’habitants de ces endroits auraient bien ri si on leur avait dit que ça leur tomberait dessus.


La fin de la violence

Stop aux violences contre les femmes !
Stop aux violences contre les homosexuels !
Stop aux violences contre les Juifs !
Stop aux violences contre les Musulmans !
Stop aux violences contre les Chrétiens !
Stop aux violences contre les jeunes !
Stop aux violences contre les vieux !
Stop aux violences contre les noirs !
Stop aux violences contre les asiatiques !
Stop aux violences contre les transexuels !
Stop aux violences contre toutes les catégories de gens que j’ai oubliés, complétez par vous-mêmes !

J’ai une mauvaise nouvelle. Vous me direz que j’ai rarement de bonnes nouvelles et je ne peux pas le nier, mais celle-ci va vous faire beaucoup de peine : tout cela est une escroquerie intellectuelle. On ne stoppera jamais les violences. On peut éventuellement les réduire, on peut en canaliser une partie, on peut les condamner par diverses peines a posteriori – en essayant de ne pas oublier que maintes condamnations sont aussi des violences en soi – mais on ne stoppera jamais les violences, parce qu’elles font partie de ce qui constitue l’humanité.

Prenons le gars qui nous disait de tendre l’autre joue face à la violence, par exemple. Il arrive à Jérusalem avec un petit creux. Alors il veut cueillir une figue, mais il n’y a pas de fruits sur l’arbre. Fâché, ni une ni deux, paf, il lui lance une malédiction «Que jamais fruit ne naisse de toi! Et à l’instant le figuier sécha. » (Évangile selon Saint Mathieu 21.18). Et le non-violent en chef ne s’arrête pas à cette violence contre un arbre, pas du tout ! Quand il se met en colère contre les marchands, il casse tout et fiche des coups de cordes aux dits marchands. Parce que fils du bondieu ou pas, c’est un humain avec ses accès de rage.

On peut prendre n’importe quelle culture à n’importe quelle époque, on ne trouvera pas la moindre tribu exempte de violence. Jamais. Nulle part. Le mythe du bon sauvage existe toujours. Nombreux sont ceux qui pensent que la violence est le fait de notre société, mais les humains qui vivraient en harmonie avec la nature seraient exempts de violence. Comme le nom l’indique, c’est un mythe. On l’a vu ces jours-ci, par exemple : un évangélisateur américain sans doute persuadé que le sauvage est bon par nature a fini ses jours criblé de flèches à l’approche des Sentinelles. Et c’est comme ça sur toute la planète. Les premiers blancs à avoir rencontré les Yanomamis d’Amazonie ont assisté à des conflits inter-tribus qui se soldaient par des massacres de nouveaux-nés, préférentiellement mâles. Et il en va de même pour les individus. Gandhi, grande figure de la non-violence s’il en est, était le dernier des salopards avec les femmes de son entourage qu’il forçait à dormir à poil avec lui sous prétexte d’éprouver sa résistance morale. Le consentement n’était pas vraiment son problème. D’ailleurs, pour ce qui est du consentement des femmes, l’enlèvement des Sabines est un mythe bien plus vieux que le capitalisme et la chrétienté, qu’on accuse souvent concernant la violence faite aux femmes, puisqu’il remonte à la fondation de Rome. Soit au VIIIe siècle avant le barbu de Palestine, à la louche. Ce mythe là existe d’ailleurs dans maintes cultures, et pour le coup, ça n’est pas vraiment un mythe : c’était une pratique bien réelle et une culture pas seulement ancrée chez les Romains. On retrouve des faits de mariages par enlèvement sur la terre entière, du Caucase à l’Afrique en passant par l’Asie centrale. Ça se pratique même encore couramment dans le Kirghizistan actuel, même si c’est théoriquement interdit.

Et le racisme, cette autre forme de violence ? Dans l’histoire comme dans l’espace, aussi déplorable que ça puisse être, il est la norme plus que l’exception. Nul besoin de démontrer ni d’illustrer sa réalité mortifère dans notre société actuelle, mais comment nommer autrement le conflit entre Tutsis et Hutus ? Et que dire de la xénophobie culturelle de la société japonaise ? N’avez-vous jamais entendu le racisme des Berbères à l’encontre des Arabes, et inversement, ou du racisme endémique au Maghreb à l’encontre des noirs ?

La violence et l’idiotie sont très équitablement réparties sur la planète.

Certaines sociétés ont plus ou moins réussi à encadrer la violence en la ritualisant : bacchanales pour les uns, sacrifices humains pour les autres – les peuples pré-colombiens semblaient particulièrement apprécier cette méthode – ou bagarres de fin de bal du samedi soir pour les moins imaginatifs. D’autres ont préféré rendre la violence utile : les Vikings ont connu une certaine prospérité en allant se défouler loin de chez eux. Quoi que tout bien réfléchi, ils cumulaient puisque certains de leurs rites étaient loin d’en être exempts. D’autres encore en ont fait des sports. En Asie centrale, on fait du polo avec des carcasses de chèvres qu’on a parfaitement le droit de coller dans la tronche de l’adversaire avec élan. Plus près de chez nous, le Calcio florentin autorise à peu près tous les coups et personne ne trouve rien à y redire.

On peut ne pas apprécier ces méthodes, pourtant canaliser la violence en un temps et un lieu donnés permet de quelque peu pacifier les relations sociales au quotidien. Mais chez nous, on a opté pour une autre option : en prétendant lutter pour tout simplement stopper toute violence, on a surtout fait disparaître l’ensemble des espaces de déviance tolérée, si bien qu’elle finit par déborder de tous les côtés.

On promet actuellement à une génération entière des lendemains qui chanteront dans la paix et l’harmonie entre tous. A peu près toutes les religions ont prêché la même chose avec les résultats qu’on sait.

Le propos ici n’est nullement de prétendre qu’il faut laisser toutes les violences s’exprimer parce qu’elles sont intrinsèquement liées à notre nature. Bien sûr qu’on ne peut pas laisser tout un chacun trucider son prochain à tout va sans réagir. Il est assez évident que l’instruction et l’éducation permettent de résoudre une partie du problème et il serait parfaitement stupide de ne pas chercher à réduire la violence autant qu’il est possible de le faire, de même qu’il est compréhensible qu’on cherche à la punir, encore faut-il que la punition ne soit pas pire que le mal. Et nos prisons étant des hauts lieux de violence, je me permets de douter d’un quelconque apport positif de l’usage des prisons dans la lutte contre les violences. Néanmoins, il faudra bien comprendre à un moment que quiconque prétend faire tout simplement disparaître les violences est au mieux un menteur. Et un menteur dangereux pour l’avenir.

Nous abordons un temps de l’humanité dont personne n’ignore qu’il sera d’une grande violence. Les dérèglements climatiques, l’accès à l’eau qui se tend, les grandes migrations qui en découlent provoqueront plus de violences encore, peut-être plus que ce que l’humanité n’en a connu jusqu’ici. Paradoxalement, la génération qui devra y faire face sera la moins bien armée pour y faire face. Plutôt que de prendre la violence pour ce qu’elle est, quelque chose qui fait partie de nous tous, on promet à cette génération de la faire disparaître. En fait, nous vivons déjà dans des sociétés ultra-violentes. Un mot de travers sur un réseau social, et c’est le lynchage médiatique assuré : une forme moderne de violence. Une opinion divergente peut donner le même résultat. On peut continuer à promettre l’inaccessible. Ou on peut se demander comment canaliser ces violences quand on y est sujet, et comment y faire face quand on en est victime. S’armer intellectuellement peut être un bon début. Mais cela demande de se détacher des passions modernes pour accéder à la raison. Et nous en sommes très loin.


Sicario

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Quand j’ai entendu que quelqu’un allait tourner une suite à Blade Runner, j’ai eu peur, et ça a duré. Et puis, je suis tombée un peu par hasard sur Sicario de Denis Villeneuve. Et j’ai pris une claque qui fait du bien.

On a ici tout le contraire d’un film manichéen : pas de bons, pas de méchants, seulement des acteurs crédibles dans leur rôle respectif. On a aussi une débauche de technicités pour un rendu d’une grande sobriété. Tout est carré et millimétré, rien n’a été laissé au hasard. La bande son maintient la tension avec beaucoup de finesse, les plans sont parfaits, les couleurs sont irréprochables, le scénario est efficace, les acteurs sont excellents, la réalisation est parfaite, rien de moins.

L’ensemble est de la même famille de réalisme que Démineurs, de Kathryn Biggelow. Ici, pas de fusillades dans tous les sens. Même quand le chef d’une opération annonce « feu à volonté », les balles ne sont pas utilisées pour faire du grand spectacle à peu de frais : chacune tue. Au fil du récit, on atteint le même degré de perplexité que le personnage central, un rôle féminin, ça change.

Je suis tombée sur Sicario par hasard, et c’est seulement ensuite que j’ai réalisé que c’est Denis Villeneuve qui doit réaliser la suite de Blade Runner. Tout n’est pas perdu : s’il est aussi exigeant pour l’un que pour l’autre, une suite pourrait enfin ressembler à quelque chose.


Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon

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J’adore quand le cinéma me met une baffe. J’aime encore plus qu’il me mette une baffe parfaitement en phase avec l’actualité. Je suis un peu plus embêtée quand je constate que le cinéma capable de me mettre des baffes a plus de quarante ans.

Mais reprenons dans l’ordre.

Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon est un film italien de la grande époque du cinéma italien, de cette époque où nos voisins produisaient des œuvres d’une portée politique puissante et sans concession. Il date de 1970.

Ce film est une réflexion sur la notion d’autorité, mais aussi sur la surveillance politique des citoyens par la police. Mais par dessus tout, ce film traite de ces citoyens pas comme les autres : ceux qui sont … au-dessus de tout soupçon.

Même si ça me démange, je ne vais pas vous « spoiler » le film. Je vais plutôt vous suggérer avec insistance de vous le procurer, vite. Parce que je vous promets qu’il réunit tout ce qui fait un très grand film : un scénario tissé par un orfèvre, une bande son absolument parfaite – Ennio Morricone a-t-il déjà fait autre chose ? , des acteurs époustouflants – vous connaissez Gian Maria Volontè, vous l’avez au moins vu dans Pour une poignée de dollars – , une outrance toute italienne qui ne fait qu’ajouter de la profondeur et une réalisation globale parfaite, rien de moins.
Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon est un chef d’œuvre d’intelligence.

Seul bémol post-visionnage : je ne cesse de me demander pourquoi, quand je veux voir un grand film politique, je suis contrainte de me diriger vers des œuvres qui datent d’avant même que je sois née. Pourquoi, il y a quarante-cinq ans, l’Oscar du meilleur film en langue étrangère était un film à la portée politique telle que le réalisateur préféra s’exiler par précaution, alors qu’aujourd’hui, le même Oscar est décerné à The Artist pour un film creux, vide de sens ?
Je ne suis pas une défenseuse du triste « c’était mieux avant » mais force est de constater que notre époque est, en matière de cinéma et par comparaison avec ce type de film, d’une médiocrité exaspérante.


Daech a déjà gagné

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Les maboules à barbe ont d’ores et déjà gagné la guerre, même si la plupart de nos compatriotes ne le savent pas encore. Ils ont gagné la guerre dès lors que pour lutter contre eux, on a décidé de serrer la vis. Ils ont gagné dès lors qu’une majorité d’européens a accepté que, pour se protéger d’eux, moins de démocratie était parfaitement acceptable. Ils ont gagné au moment où les politiciens et quelques journalistes ont accepté de diviser la population en s’appuyant sur leurs exactions.
Les maboules à barbe et tous leurs copains intégristes ont gagné à l’instant où la presse et la télévision se sont délecté d’une tête tranchée bonne pour l’audience. Ils ont gagné quand on a ne serait-ce qu’envisagé la notion de « pré-crime » ou la possibilité de surveiller sur la base de simple suspicion. Ils gagnent une bataille à chaque fois qu’un magazine publie une Une sur les « vrais français », à chaque fois que Ciotti ou Estrosi ouvrent la bouche, à chaque fois que Dédé et Robert vomissent les arabes au comptoir. Ils sont gagné quand le politiquement correct s’est invité sur la place publique. Ils ont gagné quand on a laissé la Manif pour tous les nigauds vomir en public ; ils gagnent chaque fois qu’on expose les archaïsmes papesques partout ; ils gagnent quand on dit « droit du sang », ils gagnent parce qu’on a renoncé à nos modèles politiques occidentaux, ils gagnent face à la tentation de la dictature vaguement grimée d’oripeaux démocratiques.

Ils ont déjà gagné parce qu’on n’a pas plus entendu Nietzsche.

 » Celui qui lutte contre les monstres doit veiller à ne pas le devenir lui-même. Or, quand ton regard pénètre longtemps au fond d’un abîme, l’abîme, lui aussi, pénètre en toi. »


Ceci n’est pas un piratage

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Bombe, AK 47, Djihad, Daech, Syrie, chiens de mécréants, Abou Bakr al-Baghdadi, Allah, Coran, calife, fatwa, Mossoul, décapitation, immolation, Charlie Hebdo, Salman Rushdie, Irak, Yémen, salafistes, al-Nosra, charia, Abou Mohammad al-Joulani, attentat, Ansar Bait al-Maqdis, Boko Haram, explosion.

Tard dans la nuit de mercredi à jeudi, une Assemblée nationale clairsemée (seulement 30 députés présents) a adopté les fameuses boîtes noires qui doivent permettre par des algorithmes de détecter les comportements suspects sur Internet. Je procède simplement ici à un test d’efficacité.

Si je venais à disparaître, merci de venir me chercher en garde à vue.


Psychologie du contrôle social.

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En 1973, le psychologue David Rosenhan mène une expérience dans un hôpital psychiatrique.

Onze chercheurs complices se présentent séparément aux médecins de garde d’un asile. Ils avaient pour consigne de prononcer, à l’accueil, une phrase dénuée de sens. Ils vont tous être pris en charge et immédiatement hospitalisés : les médecins vont faire état de diagnostics lourds avec dix estampillages « schizophrénie » et un « maniaco-dépressif ».

La consigne des chercheurs étaient ensuite de se comporter le plus normalement possible et de demander à sortir dès le deuxième jour. Certains sortent assez vite, en 6 jours, et d’autres resteront internés 40 jours.

Les pseudos patients pouvaient prendre leurs notes recherche toute la journée sans que personne ne s’intéresse à ce qu’ils notaient. Leurs prises de notes devenaient un symptôme pour l’équipe soignante. Nos chercheurs, dans leur rôle de patients, étaient quelquefois interrogés par les médecins. La consigne était alors de répondre tout à fait normalement aux différentes questions. Les retranscriptions des médecins seront pourtant loin de la réalité. Rien de « normal » n’y apparaît.

Il est assez drôle de noter qu’environ un tiers des vrais patients de l’hôpital se sont aperçus de la supercherie.

Remise ainsi en cause, l’institution psychiatrique contesta les résultats de cette expérience. Six mois plus tard, David Rosenhan la renouvela donc dans un autre hôpital, où il obtint des résultats analogues.

La conclusion de l’étude est que les humains ne peuvent pas distinguer les personnes saines des personnes atteintes d’aliénation mentale dans les hôpitaux psychiatriques. Elle a également illustré les dangers de la dépersonnalisation et de l’étiquetage dans les établissements psychiatriques. L’étude suggère de remettre en cause la nature du diagnostic porté par les personnels de santé dans les hôpitaux psychiatriques, en prenant en compte les effets induits de l’institution sur les sujets concernés.

D’autres expériences ont été menées plus tard sur d’autres publics. Dans les écoles, on parlera d’effet Pygmalion, ou encore d’effet d’attente : les résultats des élèves s’améliorent si on fait croire à leurs enseignants qu’ils ont une intelligence supérieure, même si c’est tout à fait faux.

Dans l’ensemble, on peut conclure que celui qui regarde n’est jamais neutre dans sa façon de regarder, mais aussi que celui qui est observé réagi en fonction de la façon dont il est observé. On peut alors se demander comment évoluera une société où tout un chacun pourra être observé par des services qui voient des terroristes partout.