Je crois que je devais avoir six ou sept ans quand le camion de la ferme a cessé de passer dans notre quartier pour vendre ses produits, pourtant, je m’en souviens bien. C’était un Citroën, ceux en tôle ondulée. Il passait une fois par semaine, s’arrêtait sur la petite place où nous vivions – à l’époque, c’était encore une pelouse où se réunissait un club canin tous les dimanches, maintenant c’est un crottoire en terre battue – il klaxonnait, ouvrait sa porte latérale et on allait lui acheter sa production.
Il vendait des légumes, qui étaient posés en tas, à même le sol de la camionnette, et il vendait du beurre et du lait. Le beurre n’était pas découpé en briquette : c’était une grosse motte très jaune l’été et plus pâle l’hiver, dans laquelle on découpait des livres et des demi-livres à la spatule. Le lait était gardé dans un immense pot à lait, et le monsieur nous remplissait notre réplique miniature à la louche. Je n’ai pas souvenir que le lait été réfrigéré. Par contre, je n’ai jamais oublié son odeur quand on le faisait bouillir. J’adorai rester juchée sur une chaise pour regarder la peau se former sur le dessus de la casserole. On récupérait ce gras, et on le mangeait sur une tartine. Le lait chaud, on le buvait le matin ou le dimanche soir.
Mais un jour, la camionnette a cessé de venir, et on a acheté du lait en brique. Tout le monde avait l’air de trouver ça plus pratique, mais très vite, j’ai oublié le goût du lait. Il aura fallu bien des années avant que je ne retrouve cette saveur forte et grasse. C’est d’ailleurs à la première gorgée de lait depuis que m’est revenu le souvenir de la camionnette.