Il n’aura échappé à personne que les questions d’autonomie rencontrent depuis un petit moment un certain succès d’audience. On voit ainsi fleurir une multitude de blogs, pages facebook, forums et chaînes youtube traitant de ces questions avec plus ou moins de sérieux et plus ou moins de politique autour. Du jardinier amateur éclairé au survivaliste armé, il y en a pour tous les goûts. Et il faut bien le dire, parmi tous ces gens, certains, peu nombreux, montrent les fruits d’un travail qu’on imagine acharné, d’autres, plus nombreux, causent beaucoup mais ne montrent pas grand-chose, ce qui ne les empêche nullement de jouer le rôle de grands-maîtres 2.0 en autonomie. Il en est ainsi, par exemple, de la chaîne Youtube « Ma Ferme autonome » qui a largement dépassé les bornes de l’abus de Tipee et de racontage de calembredaines dans sa dernière vidéo intitulée « Comment faire de l’alcool maison ».
Et c’est là que je me suis vraiment énervée…
Le youtubeur explique doctement que la distillation étant interdite en France, il s’est fait offrir un billet d’avion par son public pour aller distiller trois litres de gnôle dans un pays lointain. Non seulement c’est une hérésie climatique, mais en plus, ça comporte un mensonge : la distillation n’est absolument pas interdite en France. Elle est certes réservée aux possesseurs de verger, et il est obligatoire de passer par un professionnel afin que personne ne devienne aveugle, et de payer la taxe à l’état – plus chère que le coût du travail du distillateur.
« Ah mais alors on n’est pas autonome ! » répliqueront les autonomistes du dimanche. Certes pas entièrement, mais Ma Ferme autonome n’a pas construit un avion avec ses petites mains ni installé un derrick dans son jardin, autant que je sache. En fait, il n’a même pas payé lui même son voyage, ne venez pas me parler d’autonomie.
C’est très révélateur, au fond, de ce mouvement plus ou moins survivaliste qui n’est en réalité que consommateur. Parce que de toute évidence, une large partie de ce qu’implique la distillation leur échappe totalement.
Pour commencer, la distillation est l’aboutissement d’un long processus.
Chez moi, on distille tous les deux ans, 20 litres de gnôle à 50° (on peut préférer 25 litres à 40°, c’est aussi dans les clous des 1000 unités/an/verger de la législation). Et tout est fait en autonomie. On ramasse 800 à 1000 kg de pommes à la main, on presse à la force des bras, on remplit les barriques au seau, on attend, on déplace la barrique jusqu’à l’alambic et on embouteille plus tard. C’est plusieurs longues journées de travail effectif à plusieurs. Ça nécessite un peu de matériel : des seaux, des sacs, un broyeur, un pressoir, des barriques, des récipients de plusieurs centaines de litres – les abreuvoirs sont parfaits pour ça – mais ni passeport ni avion et pas beaucoup de pétrole.
J’entends les râleurs sans imagination.
« Oui mais d’abord tout le monde n’a pas un verger ».
C’est vrai. Mais tout le monde ne peut pas non plus faire de longs voyages pour quelques litres d’alcool. Mais surtout, il y a un nombre incalculable de vergers laissés à l’abandon par leurs propriétaires, personnes âgées ou résidences secondaires, et un peu de discussion et la promesse de quelques bouteilles donnent facilement accès tant aux fruits qu’à l’autorisation de bouillir au nom du propriétaire.
« Oui mais il faut payer les taxes et le distillateur, c’est pas autonome. »
Certes. Mais penser l’autonomie tout seul dans son coin comme si le monde extérieur était inexistant est à mon humble avis voué à l’échec. Passer par un professionnel, c’est participer à une économie très locale. C’est apprendre beaucoup de professionnels tous très passionnés par leur métier, donc passionnants. C’est se rendre à un point de rendez-vous où les discussions avec les anciens iront bon train, un lieu où il sera extrêmement facile d’agrandir un réseau. Enfin, si une bouteille de gnôle artisanale revient plus ou moins à 10€/l en passant par un professionnel, sa valeur sur le marché du troc dépasse d’infiniment loin sa valeur monétaire. Pour donner un exemple concret, cette année, une de mes bouteilles a servi non seulement à payer la découpe d’un demi-cochon à un boucher professionnel mais m’a surtout permis de m’attacher les services du dit boucher sur le long terme. Ce qui n’est pas du tout anodin quand on produit toute sa viande ou presque, y compris de broutard. Là encore, on pourrait découper sans passer par un pro, mais d’abord ça risquerait de gaspiller de la viande ce qui n’est pas envisageable et ça permet aussi de se maintenir dans un réseau très rural d’échanges de services et savoir-faire indispensables car absolument personne ne peut savoir tout faire.
Je cite ici cette chaîne en particulier et ce sujet parce que ça m’a vraiment agacée de voir encore des gens causer de choses dont ils ignorent quasiment tout en prétendant néanmoins l’expliquer aux autres, mais on retrouve la même chose sur d’autres chaînes de jardinage ou d’élevage.
J’ai beaucoup utilisé des chaînes youtube pour apprendre à faire une large part de ce dont j’avais besoin pour l’élevage des bêtes, pour la transformation et la conservation des produits, ou encore pour le bricolage. Eh bien ça m’attriste de l’avouer, mais je crois bien que toutes ces chaînes avec du concret (et non pas des petits bourgeois français qui causent sans s’abîmer les mains) sont des chaînes américaines.
Abandonnez ces gens qui causent. Si vous aussi vous voulez produire pour vous même, penchez-vous plutôt sur les homesteads américains. Ce sont souvent des gens pragmatiques, leur survie dépendant pour de vrai de leur production.