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Il est où le patron ? ou le féminisme contre-productif

On m’a offert cette BD qui parle des femmes en agriculture et j’étais super-contente parce qu’il y a peu de BD qui parlent de l’agriculture, et encore moins des femmes du milieu. Et puis je l’ai lue et j’étais tout de suite vachement moins contente.

En réalité, c’est surtout une BD qui parle des hommes qui sont dans leur intégralité des salauds dont l’unique but sur terre est d’empêcher les femmes d’exister et d’apprendre. Et j’insiste autant que la BD : l’intégralité. Tous les personnages masculins sont d’horribles machos qui ne comprennent rien à rien, qui retirent les outils des mains des femmes pour qu’elles n’apprennent pas à s’en servir, qui ne se réservent que les tâches supposées valorisantes, qui n’interviennent jamais sur les mises bas parce que « c’est un travail de femme », qui ne savent pas débarrasser une table, qui ne s’occupent jamais des enfants et qui font sans arrêt d’insupportables remarques sexistes. Tous. Et la seule solution, d’après cette BD, c’est de faire sécession et de ne plus travailler qu’en non-mixité.

Des boulots, j’en ai fait plein, de plusieurs sortes. En bureau, dans le social, dans la grande distribution, liste non-exhaustive, et partout, j’ai dû me bagarrer en tant que femme. C’est sans doute d’ailleurs ce qui a participé à ce que je ne trouve jamais tout à fait ma place dans ces milieux. Et puis j’ai atterri en élevage. Et c’est là que je suis restée le plus longtemps, parce que j’adorais ça et aussi parce qu’enfin j’ai pu cesser de me bagarrer. Certes, à l’occasion, j’ai pu voir des individus archaïques qui faisaient des remarques déplaisantes. Je les rembarrais et on ne les y reprenait plus. D’autant qu’en général les patrons en rajoutaient une couche : un bon patron n’aime pas qu’on fasse chier sa salariée et quasi tous les éleveurs pour qui j’ai bossé auraient été horrifiés qu’on dise d’eux qu’ils étaient de mauvais patrons. C’était une question d’honneur pour eux. Dans l’ensemble, j’ai surtout eu des patrons mâles qui m’ont collé dans les mains des outils dont je ne savais absolument pas me servir et qui insistaient : tant pis si je faisais des conneries, c’est comme ça qu’on apprend. Et avec mes deux mains gauches, des conneries, j’en ai fait. Plein. Et le lendemain on me recollait le même outil dans les mains. En se moquant un peu, mais pas parce que je suis une femme, juste parce que je faisais des conneries. J’ai vu des grands-pères apprendre à leurs petites-filles à labourer, je vois encore un paquet de pères aller chercher les mômes à l’école, quitte à y aller en tracteur, et des maris débarrasser la table après le casse-croûte. Quant aux vêlages sur lesquels il fallait intervenir, c’était souvent les hommes qui le faisaient. La BD ne parle que d’éleveurs et éleveuses de chèvres et de moutons, l’écart peut venir de là sur ce point : c’est une réalité, les bovins sont de bien plus grosses bestioles, et s’il faut intervenir vite, si on n’a pas le temps d’aller chercher la vêleuse (un outil qui aide à démultiplier la force) alors oui, effectivement, j’ai beau être costaude, je n’avais pas forcément assez de force, pas plus que mes patronnes, et mieux valait qu’un mâle plus balaise s’en charge.

Je pourrais lister sur des pages les exemples d’une féminisation de l’élevage qui avance bien. Les vétérinaires rurales ici sont toutes des femmes. Je n’ai jamais entendu personne s’en plaindre. J’ai bossé pour un groupement d’employeurs agricole dirigé par une femme qui a imposé par statut la parité dans le conseil d’administration. Jamais entendu de récrimination à ce sujet. Récemment, j’ai vu un agriculteur qui a poussé la presse locale à faire un article sur une (très) jeune femme mécanicienne agricole parce qu’il trouvait ça important de montrer que ça change. Salaud.

Alors oui, en effet, les agriculteurs du coin ont une tendance marquée au paternalisme. C’est même pour ça qu’ils aiment bien nous apprendre à nous servir de ceci ou cela. Sauf qu’ils font exactement la même chose avec leurs jeunes salariés masculins. Le plus macho des patrons que j’ai eu s’est pavané le jour où il a dû se faire remplacer suite à une opération : il était fier de dire partout qu’il avait laissé son exploitation entre les mains d’une jeune femme. Si sa réaction est quelque peu discutable, on voit qu’au fond il avait bien compris qu’il était temps de laisser la place aux femmes.

Je ne doute pas une seconde qu’il y ait des femmes en agriculture qui ont pu en chier plus que moi : il y a des abrutis partout, c’est même sans doute la seule chose bien répartie sur la planète. Il est très possible qu’une femme qui souhaite s’installer seule se confronte à des vieux relents sexistes moisis. Ça n’a rien de spécifique à l’agriculture, j’ai vu la même chose dans des formations organisées par une Chambre des Métiers. Que les choses n’avancent pas assez vite, c’est un fait, mais ça n’a absolument rien à voir avec le monde agricole spécifiquement. Que tous les hommes soient des salauds incapables de réfléchir à ces questions, non. Juste non. Ou alors, c’est que j’ai passé ces dix dernières années sur une autre planète. Et certes la Bretagne a ses spécificités, mais je ne crois pas qu’elle soit particulièrement plus progressiste que la moyenne, et jusqu’à preuve du contraire, elle est bien sur terre.

Pour conclure, si vous voulez dégoûter à jamais les femmes de l’agriculture, offrez-leur cette BD. Comme ça c’est sûr, ça restera un milieu d’hommes. Mais si vous êtes une femme qui veut se lancer dans le milieu : juste, allez-y. Rembarrez et fuyez les cons là comme ailleurs et rassurez-vous : des alliés, vous y en trouverez de tous les genres.


Fur

Qu’est-ce que ça fait plaisir de tomber complètement par hasard sur un film dont on n’attend rien et qui nous laisse une sensation durable de plaisir !

Fur est la biographie imaginaire de la photographe américaine bien réelle Diane Arbus. Il n’est absolument pas nécessaire de connaître l’existence ou le travail de cette personne pour visionner ce film, ça n’est en réalité qu’un prétexte au scénario, lequel peut se résumer simplement : c’est la rencontre de deux freaks.

Cette rencontre improbable entraîne une histoire décalée d’une grande sensualité. Et c’est en fait là que se situe tout le propos du film. Le pari est ambitieux de créer cette ambiance sensuelle en filmant des corps tordus, et si vous pensez que la présence de Downey Jr y change quoi que ce soit, vous vous trompez : son personnage est atteint d’hypertrichose. C’est que l’affiche est un mensongère.

Cas d’hypertrichose

Si Nicole Kidman est évidemment magnifique, son personnage n’en est pas moins tordu à sa façon : il y a mille façons d’être freaks.

Nul besoin de s’étendre sur l’histoire en elle-même : elle pourrait se résumer en deux lignes et là n’est pas l’important. Le jeu hypersensible des deux acteurs, la façon de filmer avec douceur, les jeux de décors et, bien évidemment, le travail sur l’image nous offrent un très beau film qu’il serait vraiment dommage de ne pas découvrir.

Et bon sang mais que fait un comédien aussi bon que Downey Jr dans les pitreries de super-héros ? Quel gâchis !

Quelques photos de Diane Arbus :


Orgueil et Préjugés

Il y aurait quelque chose de parfaitement saugrenu à rédiger une critique d’un roman vieux de plus de deux siècles : le temps a fait son œuvre d’écrémage, il est évident que c’est un grand roman. Si on peut discuter du goût qu’on en a, il serait rudement prétentieux d’aller contre deux cents ans de générations de lecteurs !

On peut par contre tout à fait parler un peu du contenu d’Orgueil et Préjugés, à l’attention des trois du fond qui comme moi ont un peu de retard dans leur pile de classiques non encore ouverts.

C’est indéniable : ce roman relève du mélo, mais ça n’est pas un gros mot. Évidemment, si vous êtes absolument insensible à Sur la route de Madison, la lecture pourrait ne pas vous être très agréable. Et c’est triste. Mais on peut tout de même trouver bien des strates dans cette œuvre qui pourraient tout aussi bien vous faire apparaître le mélo comme simple support.

On y trouve ce qu’on trouve dans une multitude de romans de la fin du XVIIIe à la fin du XIXe, de l’Angleterre à la Russie : le quotidien des familles aristocrates. C’est fou à quel point ces gens là, de par le monde, ne faisaient rien. Mais alors : vraiment rien. C’est sans doute de cet ennui que découlent aussi bien, dans une opposition quasi-parfaite, Les Liaisons Dangereuses et Orgueil et Préjugés. Dans le premier, nous sommes face à de petits aristocrates sans honneur alors que dans le second, il est brandi en étendard. On retrouvera aussi des traits communs avec L’Idiot, de Dostoïevski, roman plus tardif. Je suis presque sûre que Fiodor avait lu Jane.

Le niveau de langue est tout à fait accessible, bien plus que les deux romans pris ci-dessus en points de comparaison. Il me semble tout à fait abordable au niveau grand adolescent, et si vous doutez de pouvoir inciter le ou la vôtre à s’y plonger, commencez peut-être par leur proposer un visionnage préalable d’une adaptation un peu particulière.

Là, je suis sûre que vous pensez que je me moque de vous. Pas du tout. Il ne faut pas être sectaire. J’avais regardé ce film pour rire et en fait c’est plutôt bien foutu, et zombies mis à part, plutôt fidèle à l’esprit de l’œuvre. Je pense donc que ça constitue une porte d’entrée tout à fait respectable vers le roman.

Pour terminer de vous convaincre, il est important de préciser que Jane Austen ne manque absolument pas d’humour ni d’ironie. N’allez donc pas imaginer un classique chiant et larmoyant, ça n’est pas du tout ça. Un roman parfait pour les soirées d’hiver qui commence.


Marlène Schiappa : le triomphe de la médiocrité

Je suis allée voir dans le « guide des violences sexistes » édité par les services de l’aut’ machin qui sert de féministe du 21e siècle. Dans la liste de ce que sont des violences sexistes, on trouve « réflexions dégradantes », « injures », « harcèlement » et « propos à connotation sexuelle ».
Je me demande à quoi exactement on mesure l’aspect dégradant d’une réflexion. Il y a une liste précise, ou c’est à l’appréciation de la victime supposée ? Si je dis « bouseuse » à une Parisienne, elle va trouver ça dégradant ; si une Parisienne me dit « bouseuse », je lui répondrais « merci beaucoup et bonne journée » en trouvant toute de même la dame fort dégradée. Allez savoir si la bourgeoise ripolinée des quartiers aseptisés ne trouverait pas dégradant qu’un réfugié lui dise bonjour …
Des injures ? De quoi parle-t-on ? Si un réfugier lâche un « connasse » à la brave dame qui n’a pas répondu à son bonjour, ça devient une raison suffisante pour le renvoyer au Sahel ou en Afghanistan ?
Du harcèlement, vraiment ? De la part de la nana qui considère que c’est du harcèlement de demander le numéro de téléphone de quelqu’un, eut égard au fait que la personne a déjà eu la même demande dix fois dans la journée ? Le meilleur moyen d’aider les migrants, à court terme, c’est de leur expliquer très vite que leur sécurité dépend de leur niveau de maladresse. Ou plus simplement de leur conseiller de toujours marcher à quatre mètres des femmes et à ne jamais les regarder. Et tant qu’à y être, il faut vivement leur conseiller de ne surtout pas faire preuve d’humour à la con : les vieilles blagues de tonton à deux heures du mat’ pourrait lui valoir le charter.
La nouille qui va sauver les femmes est ravie : ses mesures absconses trouvent enfin une utilité. On a un arsenal anti-migrants qui pourra justifier toute opération sale d’expulsion.
On sous-estime toujours le pouvoir de nuisance des abrutis notoires.


Sus au soutien-gorge

Aujourd’hui, j’ai décidé de me fâcher avec les femmes, en particulier avec celles qui ont une poitrine conséquente. N’allez pas croire que c’est pour le plaisir de les fâcher : bien au contraire, en réalité c’est vraiment et sincèrement pour rendre service. Mais je sais qu’elles vont râler et surtout objecter très exactement ce que j’ai moi-même objecté avant de me raviser et d’en venir à cette conclusion éprouvée et formelle : le soutien-gorge est un objet absolument et complètement inutile.

Tout a commencé un jour où je me plaignais du prix et du manque de confort des soutiens-gorge. C’est là que quelqu’un m’a dit que ces choses là ne servaient à rien. Comme c’était un homme qui parlait – un à l’ancienne, sans poitrine ni rien de ce genre – je l’ai évidemment rabroué en lui disant de se mêler de ses affaires, qu’il ne pouvait rien en savoir. Têtu, il m’a fait lire une très sérieuse étude – que j’ai égarée depuis – qui en venait à cette même conclusion que cet objet ne sert à rien. Il y avait même des interviews de sportives de haut niveau qui expliquaient qu’après quelques jours ou semaines à ne pas en porter, elles se demandaient pourquoi elles l’avaient fait avant. Mais je n’ai pas non plus cru cette étude pourtant sérieuse.

Mais tout de même, je me suis interrogée. Après tout, depuis la puberté, j’en ai toujours porté, alors en réalité je ne savais pas du tout ce que c’était que de ne pas en mettre. Et comme je suis plus curieuse que têtue, un matin, constatant que j’étais foutrement en retard côté lessive, j’ai décidé de ne pas en mettre. Le premier jour a été très désagréable : j’avais vraiment l’impression de déambuler à poil. Exactement comme dans un rêve où on arrive à poil à l’école ou au boulot, mais dans la vraie vie. Je n’ai vraiment pas aimé ça. Les jours suivants, quand il me fallait courir, j’ai même trouvé ça douloureux. Mais en réalité, ça n’a duré que deux ou trois semaines. Après plusieurs mois sans soutien-gorge, je suppose que des muscles ont dû reprendre leur fonction : je peux courir sans aucune gêne. Et surtout, la vie est devenue beaucoup plus confortable sans ce machin élastique qui gêne en réalité sans qu’on n’y fasse plus attention par la force de l’habitude. Même bien réglé, même bien taillé, en fait il ne sert qu’à créer une gêne.

Avec du recul, je vois maintenant l’évidence : le soutien-gorge n’est que le descendant du corset, le cousin des talons hauts, un carcan de plus qui empêche juste les femmes d’être parfaitement à l’aise dans leurs mouvements. Nous n’avons absolument pas besoin de ça. Foi de nana à grosse poitrine.

Alors oui, quand on n’a pas de soutien-gorge, qu’on est en débardeur ou en t-shirt, tout le monde peut voir qu’on n’en porte pas. Et parfois, ça rend même les tétons fort apparents. Et ? Où est le problème ? Ça gène ces Messieurs ? Alors c’est leur problème, pas le mien. J’ai des tétons comme j’ai un nez, je suis née comme ça. Devrais-je aussi me cacher le nez parce que ça dépasse du reste ? Non. Alors pourquoi devrais-je m’imposer un truc inconfortable pour cacher les éventuelles érections de tétons ?

Est-ce que les seins tombent plus ? Non. Si vous avez allaité trois gamins, le soutien-gorge permet sans doute de cacher que la vie a fait son œuvre, mais quand vous ôtez l’engin, ils retombent de toute façon. L’âge et la gravité font leur œuvre avec ou sans soutien-gorge, seules les poitrines en silicone ne tombent pas. D’ailleurs, l’âge et la gravité allongent aussi les oreilles et personne ne met de soutien-oreilles pour autant. Alors pourquoi cette obsession de vouloir conserver des seins de vingt ans quand on en a le double ou le triple, si ce n’est sous le poids de la pression sociale ? Et à quoi bon lutter pour l’égalité des droits si c’est pour s’imposer par ailleurs un carcan coûteux et vraiment inconfortable pour faire plaisir à la pression sociale ?

Je ne comprenais pas pourquoi il y a eu dans l’histoire des femmes qui ont brûlé leur soutien-gorge. Maintenant, je me demande pourquoi on ne le fait pas toutes. Quoiqu’on doit pouvoir recycler ces machins en autre chose plutôt que de les brûler. Mais dans tous les cas, ne me croyez pas : arrêtez d’en porter pendant un mois et vous verrez que vous n’en utiliserez plus jamais.


L’éternel mari de Fiodor Dostoïevski

L’éternel mari n’est pas forcément une œuvre majeure de Dostoïevski, mais ça n’en est pas moins d’une lecture agréable et riche. Il y a là quelque chose du Vaudeville : un mari naïf et trompé et un amant plus ou moins repentant se croisent après le décès de la femme adultère, tout est en place pour une tragi-comédie. Mais Dostoïevski est avant tout un maître de la psychologie des personnages, et c’est tout l’intérêt de ce court roman. Il y a tant de dialogue qu’on a parfois l’impression de lire une pièce de théâtre plus qu’un roman.

Les protagonistes ne sont pas lisses et encore moins caricaturaux. Il n’y a jamais rien de bien manichéen chez cet auteur, si ce n’est que les victimes sont innocentes. Les protagonistes sont surtout le support à une certaine satyre des conventions sociales. On ne salue pas un homme de la bonne société qui n’est pas tiré à quatre épingles, on méprise un homme trop dépendant de sa femme et la valeur de quelqu’un se mesure avant tout à son patrimoine.

En outre, on y apprend beaucoup sur les mœurs de la Russie pré-révolutionnaire, et ne serait-ce que pour cela, c’est une lecture d’un grand intérêt.

C’est clair et concis, facile à lire et pas moins addictif que Crime et Châtiment. S’il s’agit de découvrir la plume de Dostoïevski, je conseillerais d’ailleurs plutôt la lecture de Crime et Châtiment, mais Le mari idéal a une longueur adéquate pour un voyage en train de quelques heures.


La fin de la violence

Stop aux violences contre les femmes !
Stop aux violences contre les homosexuels !
Stop aux violences contre les Juifs !
Stop aux violences contre les Musulmans !
Stop aux violences contre les Chrétiens !
Stop aux violences contre les jeunes !
Stop aux violences contre les vieux !
Stop aux violences contre les noirs !
Stop aux violences contre les asiatiques !
Stop aux violences contre les transexuels !
Stop aux violences contre toutes les catégories de gens que j’ai oubliés, complétez par vous-mêmes !

J’ai une mauvaise nouvelle. Vous me direz que j’ai rarement de bonnes nouvelles et je ne peux pas le nier, mais celle-ci va vous faire beaucoup de peine : tout cela est une escroquerie intellectuelle. On ne stoppera jamais les violences. On peut éventuellement les réduire, on peut en canaliser une partie, on peut les condamner par diverses peines a posteriori – en essayant de ne pas oublier que maintes condamnations sont aussi des violences en soi – mais on ne stoppera jamais les violences, parce qu’elles font partie de ce qui constitue l’humanité.

Prenons le gars qui nous disait de tendre l’autre joue face à la violence, par exemple. Il arrive à Jérusalem avec un petit creux. Alors il veut cueillir une figue, mais il n’y a pas de fruits sur l’arbre. Fâché, ni une ni deux, paf, il lui lance une malédiction «Que jamais fruit ne naisse de toi! Et à l’instant le figuier sécha. » (Évangile selon Saint Mathieu 21.18). Et le non-violent en chef ne s’arrête pas à cette violence contre un arbre, pas du tout ! Quand il se met en colère contre les marchands, il casse tout et fiche des coups de cordes aux dits marchands. Parce que fils du bondieu ou pas, c’est un humain avec ses accès de rage.

On peut prendre n’importe quelle culture à n’importe quelle époque, on ne trouvera pas la moindre tribu exempte de violence. Jamais. Nulle part. Le mythe du bon sauvage existe toujours. Nombreux sont ceux qui pensent que la violence est le fait de notre société, mais les humains qui vivraient en harmonie avec la nature seraient exempts de violence. Comme le nom l’indique, c’est un mythe. On l’a vu ces jours-ci, par exemple : un évangélisateur américain sans doute persuadé que le sauvage est bon par nature a fini ses jours criblé de flèches à l’approche des Sentinelles. Et c’est comme ça sur toute la planète. Les premiers blancs à avoir rencontré les Yanomamis d’Amazonie ont assisté à des conflits inter-tribus qui se soldaient par des massacres de nouveaux-nés, préférentiellement mâles. Et il en va de même pour les individus. Gandhi, grande figure de la non-violence s’il en est, était le dernier des salopards avec les femmes de son entourage qu’il forçait à dormir à poil avec lui sous prétexte d’éprouver sa résistance morale. Le consentement n’était pas vraiment son problème. D’ailleurs, pour ce qui est du consentement des femmes, l’enlèvement des Sabines est un mythe bien plus vieux que le capitalisme et la chrétienté, qu’on accuse souvent concernant la violence faite aux femmes, puisqu’il remonte à la fondation de Rome. Soit au VIIIe siècle avant le barbu de Palestine, à la louche. Ce mythe là existe d’ailleurs dans maintes cultures, et pour le coup, ça n’est pas vraiment un mythe : c’était une pratique bien réelle et une culture pas seulement ancrée chez les Romains. On retrouve des faits de mariages par enlèvement sur la terre entière, du Caucase à l’Afrique en passant par l’Asie centrale. Ça se pratique même encore couramment dans le Kirghizistan actuel, même si c’est théoriquement interdit.

Et le racisme, cette autre forme de violence ? Dans l’histoire comme dans l’espace, aussi déplorable que ça puisse être, il est la norme plus que l’exception. Nul besoin de démontrer ni d’illustrer sa réalité mortifère dans notre société actuelle, mais comment nommer autrement le conflit entre Tutsis et Hutus ? Et que dire de la xénophobie culturelle de la société japonaise ? N’avez-vous jamais entendu le racisme des Berbères à l’encontre des Arabes, et inversement, ou du racisme endémique au Maghreb à l’encontre des noirs ?

La violence et l’idiotie sont très équitablement réparties sur la planète.

Certaines sociétés ont plus ou moins réussi à encadrer la violence en la ritualisant : bacchanales pour les uns, sacrifices humains pour les autres – les peuples pré-colombiens semblaient particulièrement apprécier cette méthode – ou bagarres de fin de bal du samedi soir pour les moins imaginatifs. D’autres ont préféré rendre la violence utile : les Vikings ont connu une certaine prospérité en allant se défouler loin de chez eux. Quoi que tout bien réfléchi, ils cumulaient puisque certains de leurs rites étaient loin d’en être exempts. D’autres encore en ont fait des sports. En Asie centrale, on fait du polo avec des carcasses de chèvres qu’on a parfaitement le droit de coller dans la tronche de l’adversaire avec élan. Plus près de chez nous, le Calcio florentin autorise à peu près tous les coups et personne ne trouve rien à y redire.

On peut ne pas apprécier ces méthodes, pourtant canaliser la violence en un temps et un lieu donnés permet de quelque peu pacifier les relations sociales au quotidien. Mais chez nous, on a opté pour une autre option : en prétendant lutter pour tout simplement stopper toute violence, on a surtout fait disparaître l’ensemble des espaces de déviance tolérée, si bien qu’elle finit par déborder de tous les côtés.

On promet actuellement à une génération entière des lendemains qui chanteront dans la paix et l’harmonie entre tous. A peu près toutes les religions ont prêché la même chose avec les résultats qu’on sait.

Le propos ici n’est nullement de prétendre qu’il faut laisser toutes les violences s’exprimer parce qu’elles sont intrinsèquement liées à notre nature. Bien sûr qu’on ne peut pas laisser tout un chacun trucider son prochain à tout va sans réagir. Il est assez évident que l’instruction et l’éducation permettent de résoudre une partie du problème et il serait parfaitement stupide de ne pas chercher à réduire la violence autant qu’il est possible de le faire, de même qu’il est compréhensible qu’on cherche à la punir, encore faut-il que la punition ne soit pas pire que le mal. Et nos prisons étant des hauts lieux de violence, je me permets de douter d’un quelconque apport positif de l’usage des prisons dans la lutte contre les violences. Néanmoins, il faudra bien comprendre à un moment que quiconque prétend faire tout simplement disparaître les violences est au mieux un menteur. Et un menteur dangereux pour l’avenir.

Nous abordons un temps de l’humanité dont personne n’ignore qu’il sera d’une grande violence. Les dérèglements climatiques, l’accès à l’eau qui se tend, les grandes migrations qui en découlent provoqueront plus de violences encore, peut-être plus que ce que l’humanité n’en a connu jusqu’ici. Paradoxalement, la génération qui devra y faire face sera la moins bien armée pour y faire face. Plutôt que de prendre la violence pour ce qu’elle est, quelque chose qui fait partie de nous tous, on promet à cette génération de la faire disparaître. En fait, nous vivons déjà dans des sociétés ultra-violentes. Un mot de travers sur un réseau social, et c’est le lynchage médiatique assuré : une forme moderne de violence. Une opinion divergente peut donner le même résultat. On peut continuer à promettre l’inaccessible. Ou on peut se demander comment canaliser ces violences quand on y est sujet, et comment y faire face quand on en est victime. S’armer intellectuellement peut être un bon début. Mais cela demande de se détacher des passions modernes pour accéder à la raison. Et nous en sommes très loin.


La télécommande érectile

«  Fichue journée enfin terminée ! » murmura Aline.

Elle avait passé tout le jour au téléphone, à essayer de joindre les cadresses de ses clientes sans jamais réussir à parler à quelqu’un d’autre qu’aux secrétaires. Tous étaient incompétents pour répondre à ses questions mais particulièrement efficaces pour dresser un impénétrable barrage entre elle et les interlocutrices dont elle avait besoin pour faire avancer les dossiers. Une journée quasiment perdue : il faudrait tout recommencer le lendemain. Elle avait les nerfs en pelote, était épuisée, et elle sentait bien qu’elle aurait du mal à s’endormir si elle ne se détendait pas avec un bol d’hormones.

Elle caressa sa télécommande du pouce et posa un furtif regard concupiscent sur son secrétaire, Marc, avant de se raviser aussitôt. Les contacts inter-genres non professionnels étaient interdits dans l’entreprise, et Marc était aussi compétent que bel homme. Si elle jetait son dévolu sur lui et que quelqu’un les surprenait, il serait immédiatement viré et ça serait une fichue galère de retrouver un subalterne aussi qualifié. Elle se résolut donc à aller inspecter ce qu’il y avait de disponible dans la rue, entre son bureau et chez elle. A défaut, il lui resterait toujours ses gadgets, mais elle avait envie de chair. Elle ramassa son sac, prit l’ascenseur et sortit.

Elle n’avait que peu de chemin à parcourir et elle voulait se coucher tôt : elle n’allait pas pouvoir être trop exigeante. Au pire, elle se rabattrait sur un violeur de type 1, de toute façon, presque tous les mecs qui n’étaient pas ainsi classifiés étaient déjà verrouillés HUSF. Elle marcha donc le smartphone à la main en scannant tous les visages masculins un peu attractifs. Et comme d’habitude, les plus jolis et non-classifiés étaient effectivement verrouillés Homme d’Une Seule Femme. Elle croisa plusieurs violeurs de type 3 et 4 et s’en écarta vite : on ne peut jamais se fier à des types qui ne savent pas se tenir au point de s’être collé à une femme dans le métro ou, pire, d’avoir donné un baiser non sollicité. Les agresseurs verbaux de type 1 et 2 restaient à peu près tolérables, mais elle était sortie tard du boulot et beaucoup avaient déjà été accaparés par d’autres pour la soirée. Ceux qui restaient disponibles n’étaient pas très attractifs. Aline avait envie de chair, soit, mais pas au point d’opter pour une peau ridée ou flasque ou un corps qui ne l’exciterait pas visuellement.

Il lui restait cinquante mètres à parcourir et Aline commençait à se résoudre à l’idée de se débrouiller seule avec son godemichet, quand l’application annonça que le charmant visage qui surmontait un corps solide qu’elle scannait était de type 1, non classifié HUSF et, comble du bonheur, avait des mensurations génitales tout à fait respectables sans être démesurées. Elle verrouilla son choix avec sa télécommande. Le caleçon de réservation du mâle se serra immédiatement et l’homme n’avait d’autre choix que de s’immobiliser en attendant d’être cueilli par celle qui l’avait ainsi réservé. Aline se dirigea vers lui, le prit par le bras et desserra le caleçon en appuyant de nouveau sur sa télécommande. L’homme soupira. C’était déjà la troisième fois aujourd’hui qu’on le verrouillait et qu’on l’emmenait baiser. Il était épuisé, il voulait juste rentrer chez lui et dormir. Mais il savait qu’il n’était d’aucune utilité de protester. Sa maîtresse du moment le ferait grimper dans la classification des indésirables et il ne pourrait plus accéder aux emplois qu’il ne désespérait pas d’atteindre malgré son genre masculin. Il se résigna.

Aline le guida jusqu’à son appartement, lui fit signe du menton de se déshabiller tandis qu’elle faisait de même avant de s’installer, assise, sur le bord du lit et enfin, elle actionna le module d’érection automatique, toujours avec la même télécommande. L’homme soupira encore, mais il tenta, malgré la fatigue et le peu d’attirance qu’il avait pour Aline de mettre du cœur à l’ouvrage. Après tout, maints hommes avant lui avaient accédé à des postes inespérés de cette façon, peut-être qu’un jour, son tour viendrait.


De la disparition programmée des mamans avant tout

Une entreprise de VTC bien connue se fait allumer pour sa dernière campagne de pub car elle présente une jeune femme « chauffeur mais maman avant tout ».

Il y a encore quelques années, la publicité visait essentiellement la célèbre « ménagère de moins de cinquante ans » et le fait est que les femmes y étaient systématiquement soit une mère soit une potiche, et c’était vraiment pénible. Il était plus que temps de remédier à la chose. Pour vérifier les changements, j’ai pris sur moi et visionné plusieurs tunnels de publicités dans la télévision, et force est de constater que tout cela a bien changé. J’ai vu, pendant ces tunnels de pubs, des potiches mâles musculeux pour vendre des fringues, des parfums et autres pshit à dessous de bras – le corps de l’homme est aussi devenu un objet et je ne suis pas certaine que ça soit une avancée – j’ai vu des chips et des bonbons qui parlent, une femme qui fait de la moto, des désespérés des deux sexes qui rivalisent de bêtise pour vendre le grand marché du célibat que sont les sites de rencontres, pas mal de gosses capricieux, quelques potiches femelles à parfum, des pères pour vendre des bagnoles, et en fait en plusieurs tunnels de pubs, les seules mamans vues étaient en famille traditionnelle complète.

Pas une seule femme-maman archétypale à l’horizon. C’est donc bien un fait : les représentations, au moins dans la publicité, ont beaucoup changé ces dernières années et c’est une très bonne chose.
Oui mais voilà : une entreprise, dans une publicité, a représenté une « maman avant tout ». C’est mal.
Nous sommes passés d’une volonté légitime que cesse la représentation systématique des femmes dans un rôle de mère à la quasi interdiction de représenter des femmes qui s’épanouissent avant tout dans leur rôle de mère. Le nouvel ordre moral nous fait peu à peu glisser vers le mépris de telles femmes. Car il en existe. Oui, n’en déplaise à certaines, il existe des femmes qui s’éclatent dans leur rôle de mère et qui ne veulent rien d’autre. Devrait-on les faire disparaître totalement du paysage médiatique ? Valent-elles moins que les autres ? Sont-elles devenues méprisables ?
C’est en tout cas la sensation que me donne ces lynchages désormais systématiques de toute forme de communication présentant des femmes-mamans. Le glissement a été rapide et est insidieux. Ces campagnes ne s’attaquent pas qu’aux femmes-mamans. Les musulmanes qui choisissent le voile ne manquent pas de se faire cracher dessus par les mêmes militantes. Les femmes qui choisissent de louer leur vagin plutôt que leurs bras pour gagner des sous subissent les mêmes foudres. Maintenant, les femmes-mamans doivent disparaître.

Où s’arrêtera-t-on ? Les femmes ont-elles encore le droit d’apprécier les activités qui leur ont longtemps été réservées ? Ont-elles encore le droit de coudre, de cuisiner, de tricoter ? Ou au nom de la libération, doivent-elles toutes se mettre à souder ou à maçonner ?

Les femmes doivent être libres de leurs choix et de leur corps, mais uniquement dans le cadre pré-défini qu’on leur impose peu à peu sous couvert de les libérer. Méfiez-vous toujours de celles et ceux qui prétendent vous libérer. La plupart d’entre-eux veulent juste vous imposer leur propre vision du monde.


Vera Rubin : une femme dans la galaxie

Vera Rubin fait partie des gens qui ont révolutionné la science. Et même complètement transformé notre vision de l’univers. Rien que ça, et je n’exagère pas.

En effet, Vera Rubin a découvert que notre galaxie tournait sur elle-même. Avant elle, on pensait qu’une galaxie était relativement fixe. Mais à force de patience, d’observations et de calculs, elle a pu déterminer précisément la vitesse de rotation des étoiles. Et comme elle avait oublié d’être bête, elle s’est alors demandée pourquoi les étoiles n’étaient pas expulsées de la galaxie du fait même de cette rotation, comme ça aurait normalement dû se passer selon les lois de Newton. On lui doit donc aussi partiellement – d’autres avaient travaillé sur la question avant et ont continué après – la connaissance de l’existence d’un trou noir au centre de notre galaxie et de matière noire un peu partout. Quand je vous disais qu’elle a transformé notre vision de l’univers !

Veza Rubin était donc ce qu’on peut appeler une très grande dame de sciences.

Son père était un immigré juif Lituanien, lui-même fils de gantier. Sa mère était une immigrée juive de Moldavie, elle-même fille de tailleur. Pas grand-chose dans l’histoire familiale ne prédestinait cette dame à devenir l’une des plus grandes scientifiques de son époque. Au lycée, son professeur de science ne parlait qu’aux garçons. Il lui avait expliqué que les filles devaient, pour réussir, se tenir à l’écart des sciences. Il y a heureusement des femmes qui se fichent bien de ce qu’on leur dit. Nombreux ont été ceux qui ne l’ont pas prise au sérieux du fait qu’elle était une femme, bien sûr. Mais aucun vieux grincheux ne peut empêcher une femme intelligente de faire de bonnes observations et des calculs irréprochables. Elle a, entre autres, suivi les cours de Feymann. Elle s’est mariée à dix-neuf ans, et quand elle a obtenu son doctorat d’astronomie, à vingt-six ans, elle avait déjà deux enfants, et en a eu deux autres par la suite. Ses travaux étant largement reconnus par ses pairs, elle devint la première femme à avoir officiellement le droit d’utiliser le télescope de l’observatoire du Mont Palomar pour ses recherches. Jusqu’alors, l’accès en était interdit aux femmes. Parce qu’il n’y avait pas de toilettes pour dames. Non, ça n’est pas une blague. Devenue chercheuse, elle devait chaque jour quitter son travail à quinze heures pour s’occuper de ses enfants. De son propre aveu, elle a effectué presque toute sa carrière à temps partiel. J’ose à peine imaginer ce qu’auraient été les fruits d’une carrière à temps complet.

Pendant toute la fin de sa vie – elle est décédée à Noël, l’année dernière – elle a œuvré pour inciter les femmes à s’intéresser aux sciences. « À l’échelle de la planète, la moitié des neurones appartiennent aux femmes » disait-elle. Et le fait est que c’est toujours plus compliqué pour les premières. Vera Rubin a été la première femme dans un nombre délirant d’institutions. Elle n’a pas fait que découvrir des connaissances astronomiques fondamentales : elle a ouvert les portes pour toutes celles qui ont suivi et qui suivront encore.

Le plus grand hommage que nous puissions rendre à cette grande dame, c’est donc bien d’utiliser cette moitié des neurones humains pour apprendre.