Archives de Tag: lumière

Le feu de l’or

SAM_0324

S’il y a une chose que j’aime par dessus tout, dans cette Bretagne dont je ne sais si je l’ai adoptée ou si c’est elle qui l’a fait, c’est que jamais le ciel, au coucher du soleil, ne nous y offre deux fois le même tableau. Parfois il se teinte de tous les gris imaginables, sans lésiner sur les violets sombres, d’autre fois, il choisit les rouges intenses tirant vers le parme. D’autre jours encore, il a la folie de jouer avec les bleus et les verts.
Ce soir, il semble avoir emprunté la palette d’un Van Gogh ou le souvenir d’un incendie.


8H03

7H03

8H03 Je prends une inspiration d’air sous-terrain avant de me lancer dans le nuage d’odeurs vaporisées du matin. Sonnerie stridente. J’enjambe quelques guibolles et un gros sac « pardon, désolée, s’cusez moi » et je m’adosse à la paroi poisseuse près de la vitre du fond. La lumière glauque n’arrange pas plus que les cosmétiques les visages blêmes du retour au travail après la trêve du week-end. Soupir. Je sors un livre.

« Les fenêtres étaient ouvertes ; l’air et le bruit de la ville arrivaient librement du dehors ; la salle était claire comme pour une noce ; les gais rayons du soleil traçaient ça et là la figure lumineuse des croisées tantôt allongée sur le plancher, tantôt développée sur les tables, tantôt brisée à l’angle des murs, et de ces losanges éclatants aux fenêtres chaque rayon découpait dans l’air un grand prisme de poussière d’or.Les juges, au fond de la salle, avaient l’air satisfait, probablement de la joie d’avoir bientôt fini. Le visage du président, doucement éclairé par le reflet d’une vitre, avait quelque chose de calme et de bon, et un jeune assesseur causait presque gaiement en chiffonnant son rabat avec une jolie dame en chapeau rose, placée par faveur derrière lui.

 Les jurés seuls paraissaient blêmes et abattus, mais c’était apparemment de fatigue d’avoir veillé toute la nuit. Quelques-uns bâillaient.(…) »

« Hôtel de ville ». La voix synthétique me tire de ma lecture. 

« Pardon, désolée. » Je bouscule deux personnes et m’extirpe du métro. Escalier mécanique. J‘enfourne le livre que je tiens toujours à la main dans mon sac, vérifie que je n’ai pas encore boutonné ma veste de travers et termine la remontée sans me laisser porter. Une bouffée d’air bétonné, je traverse la place et pousse la porte de l’immeuble. Je fouille mes poches et les re-fouille. Où est cette foutue carte d’accès? J’étale le contenu de mon sac sur la moquette devant la porte. Clés, portefeuille, téléphone, stylos, carnets, bout de notes, sous-bocks, cartes de visite, capsules, mégots, capotes, petite monnaie et tire-bouchon.J’ai toujours rêvé d’être archéologue. La porte de l’immeuble s’ouvre. Un regard penaud à la vieille standardiste qui entre. Elle sourit de toutes ses dents fatiguées. Elle empeste déjà l’alcool. Je ramasse mes affaires, remballe le tout en vrac dans mon sac et la suis.

8H27 Je tourne à droite : je vais chercher un café avant de m’y mettre.

8H03 L’air est encore frais et la brume matinale fini de se dissiper. Ça va être une chaude journée. Il y a tellement d’oiseaux qui discutent que je m’entends à peine penser. Je passe au local à outils et charge sur la brouette une binette, la boite à graines, deux tuteurs et une longue ficelle, le sécateur, un plantoir, et le panier à légumes. Je pousse la brouette à travers le verger, forum des volatiles, et passe la haie qui mène au potager. Au loin, deux chevreuils qui grignotaient l’écorce du cassis m’observent quelques secondes avant de s’enfuir. L’herbe est trempée de rosée. Je fais attendre que ça soit sec pour cueillir les haricots. J’arpente les allées et les carrés anarchiquement disposés. S’il fait vraiment chaud, ce soir il faudra au moins arroser les salades. J’arrache quelques mauvaises herbes ici et là. Je m’arrête et observe l’ensemble. Bon… Je les mets où ces carottes ? Je désherbe une rangée, j’ameublis le sol avec le plantoir. Je pense à ma lecture d’hier.

La terre cache l’or et montre les moissons ;

Elle met dans le flanc des fuyantes saisons

Le germe des saisons prochaines,

Dans l’azur les oiseaux qui chuchotent : aimons !

Et les sources au fond de l’ombre, et sur les monts

L’immense tremblement des chênes.

Je frissonne. J’entends venir au loin le ronflement d’un tracteur. J’arrache encore du chiendent avant qu’il n’arrive.

8H27 Les vaches du près attenant meuglent et s’agitent. Je me redresse et fait de grands signes à Osmane. Il traverse le près à grandes enjambées, suivi de près par les vaches qui sautillent derrière lui. On se fait la bise. Il me tapote l’épaule.

« Alors, les mauvaises herbes poussent bien à ce que je vois ! 

– Tu médis de ma méthode, Osmane, mais on comparera nos carottes dans quelques semaines, si tu veux bien ! »

Osmane sourit, septique mais amusé. Il désigne son tracteur du pouce :

« Je t’ai amené du lait, je fais le tour et je le pose au frigo ?

– Je vais y aller, c’est gentil. 

– T’embêtes pas, je vais au près de l’autre côté de toutes façons. »

Nous échangeons nos prévisions météorologiques réciproques, des nouvelles d’alentours et d’ailleurs et planifions quelques activités et évènements à venir. En nous souhaitant bonne journée et courage, Osmane retourne à ses vaches et je retourne gratter la terre.

Suite 

 


Mélancolie

Mélancolie # 1