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Comment je devins dictateur : la première liste

Préambule 

Au début, on a beaucoup cafouillé. Je vous vois sourire, mais j’aimerais vous y voir ! Lors de la première heure de travail, tout le monde voulait être ministre de la culture. Évidemment, puisque la plupart de mes amis convoqués étaient des musiciens, des saltimbanques et autres va-nus-pieds. Oh, certains avaient bien des diplômes, des formations et même de l’expérience en entreprise, mais dans l’ensemble, tous autant qu’on était, on se passionnait jusque là plus facilement pour les innovations musicales ou littéraires que pour les mécanismes de production de biens et de services. Heureusement, nous étions assez raisonnables pour convenir qu’on ne fait pas tourner un pays avec dix-huit ministres de la culture et assez curieux pour apprendre tout ce qu’il y a à savoir des mécanismes conjoncturels divers et variés. Il nous fallut définir une méthode et on a vite opté pour une de celles qu’on utilise tous et souvent : on a dressé des listes. La première d’entre toutes fut la liste des situations urgentes à traiter sans délai. Sur celle-là figurait une longue liste de « sans » : les sans abri, les sans papier, les sans revenu, sans nourriture, sans protection sociale … Nous étions tous outrés par l’existence même de la misère au coin de notre rue et il était hors de question de ne pas s’attaquer à ce problème qui nous semblait d’une autre époque. Nous prîmes donc des mesures simples.

Dans un premier temps, nous avons suspendu toutes les mesures d’expulsions en cours : celle des étrangers qui n’avaient pas de papier, mais aussi celles des locataires qui n’avaient plus les moyens de payer leur loyer. Et nous avons rencontré notre premier problème pragmatique. Nous imaginions jusque là que tous les propriétaires avaient les moyens d’attendre un peu avant d’encaisser des loyers, voire de ne pas les encaisser du tout. Si seulement ça avait pu être aussi simple ! Nous avons vite appris que beaucoup de gens payaient les crédits de leurs achats de bâtiments avec le montant des loyers et que beaucoup de retraités ne pouvaient vivre décemment qu’avec ces sommes là. Alors nous avons réquisitionné tous les bâtiments vides, à commencer par le domaine de l’État : les anciennes casernes militaires, anciennes administrations fermées, quelques ministères trop grands pour l’usage qu’on en faisait, maisons forestières, anciennes maisons d’éclusiers … Comme ça ne suffisait pas, nous avons aussi réquisitionné les bâtiments vides des banques, des syndicats, de l’église, quelques centres de vacances appartenant à des comités d’entreprises utilisés seulement deux mois dans l’année, bâtiments commerciaux, hangars, beaucoup de bâtiments qui appartenaient à des particuliers qui préféraient attendre une envolée de l’immobilier pour les vendre, des maisons en vente depuis si longtemps qu’on pouvait sérieusement douter qu’elles soient vendues un jour ; en ville et à la campagne. En mettant tout ça bout à bout, on put offrir un toit à chaque personne déjà sans abri, mais on put aussi reloger les gens qui ne pouvaient plus payer leurs loyers à des propriétaires qui en avaient besoin et qui purent à leur tour relouer à d’autres qui avaient les moyens de payer. Tous les collectifs d’auto-construction et de nombreux artisans furent sollicités pour les aider à remettre tous ces nouveaux logements en état. Bien sûr, il fallut débloquer de l’argent. Nous avons commencé par montrer l’exemple en diminuant les salaires des hauts fonctionnaires que nous étions maintenant. On n’eut pas grand mal à rogner sur le budget de l’armée. On bloqua la construction de quelques grands projets qui nous semblaient inutiles : chantiers de centrales nucléaires, d’aéroports, de parkings, d’autoroutes et de nouvelles administrations. Les gens qui devaient travailler sur ces chantiers furent embauchés pour la remise en état des bâtiments réquisitionnés, si bien que non seulement tout fut réalisé en des temps records, mais en plus la balance s’équilibra d’elle-même. Nous gelâmes les loyers, quelques remboursements de crédit, nous interdîmes les crédits à taux abusifs. L’urgence était gérée. Elle disparut.

Dans le même temps, nous voulions nous assurer que tous ces gens mangent à leur faim, et là, la solution fut d’une simplicité enfantine : nous obligeâmes la grande distribution à donner tous ses invendus aux associations qui s’occupaient de les redistribuer selon les besoins. Certains directeurs de magasin le firent de bon cœur. D’autres furent récalcitrant, mais les situations de grandes précarités commençant à reculer, la petite délinquance recula avec elles et cela libérait du temps pour les agents de police : ils furent charger de s’assurer que les invendus allaient là où ils le devaient. Il fallut confisquer les compacteurs d’ordures des supermarchés, et puisque les huissiers n’avaient plus d’expulsion locative à réaliser, ils se firent un plaisir de s’en occuper. Nous interdîmes le calibrage des fruits et légumes, ce qui fit presque doubler les quantités produites. Je vous raconterais ultérieurement comment nous avons réformé l’élevage et l’agriculture.

Pour ce qui est de la santé, nous avons nationalisé toutes les cliniques privées pour qu’elles accueillent tous les gens qui en avaient besoin. Évidemment, de nombreux médecins spécialisés quittèrent immédiatement le pays. Un certain nombre d’entre-eux étaient des chirurgiens esthétiques. Ce ne fut pas une grande perte pour le pays puisqu’ils ne servaient pas à grand-chose de toutes façons. Les autres furent remplacés par des médecins étrangers qui n’avaient jusque là pas le droit d’exercer : soit qu’ils n’avaient pas de papier, soit qu’ils venaient de pays dont on ne reconnaissait pas la formation jusque là. Mais un humain étant un humain, leurs formations n’étaient pas pire que les nôtres, et ceux qui en avaient besoin bénéficièrent rapidement de formations complémentaires adéquates. Certains d’entre-eux s’installèrent avec de bons salaires payés par les collectivités dans les déserts médicaux. Dans un premier temps, certains eurent du mal à admettre ces médecins qui n’avaient pas le bon accent ou pas la bonne couleur de peau, mais ça ne dura pas longtemps. Tout valait mieux que pas de médecin du tout.

Plus tard, nous réformâmes entièrement la formation des médecins : ils reçurent plus de cours de psychologie et de philosophie, en particulier d’éthique, mais aussi de phytothérapie. Leur pratique s’en trouva grandement améliorée et la sécurité sociale fit de substantielles économies grâce aux prescriptions d’anxiolytiques, d’antidépresseurs et de somnifères qui fondirent comme neige au soleil. Sur les conseils avisés d’un collectif de médecins que nous avions réunis, de nombreux médicaments furent interdits. Comme l’accès au soin était grandement facilité, les gens consultaient bien avant que les maladies soient graves, difficiles à soigner et par suite, plus coûteuses. Toutes les économies réalisées furent réinjectées dans la recherche médicale. Nous remplaçâmes également les gestionnaires d’hôpitaux qui n’y connaissaient rien en médecine par des directoires constitués de médecins, d’infirmières, d’aide-soignantes, de brancardiers et même d’agents d’entretien. Il fut interdit aux internes de travailler plus de dix heures d’affilés dès que nous eûmes recrutés assez de médecins étrangers puis formés de jeunes médecins pour que ce soit possible. Le nombre d’erreurs médicales chuta, les maladies nosocomiales disparurent presque et le personnel médical hospitalier ne râla pas du blocage de leurs salaires car en contre-partie, leurs conditions de travail s’étaient notoirement améliorées.

Traiter cette première liste des choses à faire nous procura une grande satisfaction. Mais cela ne suffisait pas. Si nous ne trouvions pas rapidement un moyen de redresser l’économie du pays, tout cela n’aurait servi à rien à long terme et la misère réapparaîtrait sans cesse. Nous sortîmes alors notre seconde liste des choses à faire.

A suivre …