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Billy Elliot, film social, très social.

Billy Elliot est un film qui a plus de vingt ans, mais je viens seulement de le découvrir.

Sur le papier, c’est l’histoire d’un fils de mineur qui veut apprendre la danse, mais son père veut qu’il fasse de la boxe, et pas ce truc de fille. Mais en réalité, c’est un film qui parle de la brutalité de la politique de Thatcher, de la désindustrialisation, de la misère, des représentation de genre, de la répression syndicale et de la violence policière qui l’accompagne, de la conscience de classe, de la lutte qui va avec et de l’extrême difficulté à s’extraire de son milieu social. Mais rien ne sera dit de tout ça. Pas de discours grandiloquent, pas de leçon de morale, juste l’histoire d’un fils de mineur qui veut apprendre la danse, mais son père veut qu’il fasse de la boxe, au milieu d’une grève, de l’omniprésence policière et des frigos vides. Tout est montré, mais en finesse.

Quand le film s’est terminé, que j’ai retiré la poussière que j’avais dans l’œil et que mon cerveau s’est remis en mode émission après réception, je me suis demandée : mais bordel, qu’est-ce qu’on branle, en France ?

On a la même histoire de désindustrialisation, les mêmes quartiers ouvriers pourris, les mêmes luttes qui ont mal fini, les Anglais en ont fait une flopée de films dont les excellents Pride et, donc, Billie Elliot. Et nous ? Rien. Ou pire que rien, du misérabilisme juste bon à donner bonne conscience aux bourgeois.

Les Anglais font un film dans un bassin minier ? Tous les comédiens ont l’accent du coin – mettez les sous-titres, c’est encore plus raide à comprendre que les Texans. Chez nous, un accent de bassin minier n’est utilisé que pour un ressort comique. On ne sait pas juste faire parler les gens comme ils parlent sans se moquer. Les Anglais veulent parler de ce que la gauche qui se secoue la nouille appelle intersectionnalité ? Eh bien ils font Pride et Billy Elliot, et à aucun moment on a cette désagréable sensation qu’on a cherché à cocher les cases de la diversité. Quelqu’un avait des trucs à dire, et il l’a dit avec suffisamment de réalisme et de tact pour nous embarquer dans son histoire et qu’elle nous touche. En France, on fait une resucée de Germinal et on colle un acteur arabe dans le rôle du porion* à une époque où c’était absolument impensable. On coche une case « diversité » et on pense qu’on a fait le job. On a juste fait celui de la ré-écriture de l’histoire.

Le plus dingue, c’est que peu de pays ont une haine historique des pauvres comme l’Angleterre. Qu’on lise Dans la Dèche à Londres de Orwell ou qu’on trouve la longue liste de lois répressives contre les pauvres pour s’en convaincre. Et c’est dans ce pays-là qu’on met de l’argent public – car la BBC est co-productrice de Billy Elliot – pour réaliser des films sociaux qui ne sont pas condescendants. Pendant que la France, qui fait encore semblant d’être une république sociale, produit à la chaine des films bourgeois.

Peut-être qu’un jour un Anglais tombera sur l’histoire de Radio Lorraine Cœur d’Acier, ou sur celle de ce wagon plein de billes de roulements que les sidérurgistes du Nord avaient détourné pour jouer au lance-pierre contre les CRS, ou sur une de nos innombrables histoires de lutte, et qu’il saura en faire le décor d’un film social qui met des poussières dans l’œil pas tant pour le pathos que pour la beauté de ce qu’il peut en tirer.

Ou qu’un Français se sortira les doigts du cul, mais ça, c’est beaucoup plus improbable.

*porion, dans les mines du Nord, désigne à la fois le poireau et le contremaître, en général perçu comme un traitre à sa classe.


Kojot / Prédateurs : film hongrois fatigant

« Oh tiens, un film hongrois, je n’ai jamais vu de film hongrois, voyons à quoi ça peut ressembler » me dis-je en voyant passer Kojot, Coyote en hongrois mystérieusement traduit par Prédateurs en français. Je ne sais pas si je regarderai encore un film hongrois tant l’expérience a été épuisante.

Pour l’histoire, c’est un jeune employé de banque qui hérite de la maison et du terrain à la campagne d’un grand-père qu’il connaissait à peine alors que lui et sa compagne viennent d’apprendre que l’enfant qu’elle portait est mort. Il décide donc – oui, au singulier, elle ne décide de rien – de s’installer dans cette maison et très vite, les locaux lui font comprendre qu’il a intérêt de vendre au gros propriétaire terrien du coin et à se casser. Une histoire assez proche d’un western, un eastern, donc : pourquoi pas.

Sauf que… Je suis sûre d’une chose : le film n’a pas été financé par l’office de tourisme hongrois, car si les Hongrois ressemblent à ceux du film, c’est une sacrée bande de dégénérés. Avant même la première image, on entend des bruits de bagarre, la dernière image est celle d’une destruction, et entre les deux, les protagonistes ne feront que s’insulter et se taper dessus – et une bagarre de cinéma américaine est rudement propre et douce en comparaison – sauf quand ils préfèrent cogner sur un chien. Et n’allez pas penser que le film chercherait à dénoncer quoi que ce soit, les jugements moraux on les trouve ailleurs et ça pique.

Ainsi, quand la compagne de notre « héros » découvre à l’échographie que le cœur du fœtus qu’elle porte ne bat plus et que les médecins vont intervenir pour le sortir de là, sa seule question sera « mais vous-êtes sûr que ça n’est pas un avortement ? ». Ah ben oui, je vous avais prévenu : ça pique. Plus loin dans le film arrive un groupe d’investisseurs suédois. Tous noirs. Si le ton général relevait de l’humour, on aurait pu accorder au film une blague pour le moins maladroite. Mais on parle de la Hongrie et de son rejet de l’accueil des réfugiés et de la Suède qui elle a ouvert ses frontières. On a là une mise en scène pourrie de l’idée de grand remplacement et ça fiche sacrément mal à l’aise. Et ça n’est pas fini. Le « héros » insulte sa compagne, la frappe, la viole, elle arrive enfin à se barrer, et happy end machiste au dernier degré, elle revient vite presque en s’excusant.

Le seul personnage du film qui ne passe pas son temps à insulter et à cogner tout le monde est présenté comme un gitan. Un marginal, donc. D’ailleurs c’est un taiseux, il n’est là que pour travailler et on comprend bien dans le récit que lui n’est quand même pas très normal.

Le pire dans tout ça, c’est que techniquement, le film est bien foutu. Rien à redire sur la lumière, les couleurs, les moyens sont là et le réalisateur connaît son boulot. Mais le contenu est absolument épouvantable. Je suis arrivée au bout du film épuisée et pleine de courbatures. Il y a forcément de chouettes gens en Hongrie, il n’y a aucune raison qu’il n’y en ait pas, mais il semblerait que la fierté nationale s’appuie sur la capacité à mettre et à encaisser des torgnoles. En tout cas, c’est la conclusion de Kojot – Prédateurs. Je n’arrive pas à décider si je dois conseiller ou pas de le visionner. Si c’est une fenêtre sur une culture qu’on connaît peu, ça donne surtout envie de vite la refermer.


Fur

Qu’est-ce que ça fait plaisir de tomber complètement par hasard sur un film dont on n’attend rien et qui nous laisse une sensation durable de plaisir !

Fur est la biographie imaginaire de la photographe américaine bien réelle Diane Arbus. Il n’est absolument pas nécessaire de connaître l’existence ou le travail de cette personne pour visionner ce film, ça n’est en réalité qu’un prétexte au scénario, lequel peut se résumer simplement : c’est la rencontre de deux freaks.

Cette rencontre improbable entraîne une histoire décalée d’une grande sensualité. Et c’est en fait là que se situe tout le propos du film. Le pari est ambitieux de créer cette ambiance sensuelle en filmant des corps tordus, et si vous pensez que la présence de Downey Jr y change quoi que ce soit, vous vous trompez : son personnage est atteint d’hypertrichose. C’est que l’affiche est un mensongère.

Cas d’hypertrichose

Si Nicole Kidman est évidemment magnifique, son personnage n’en est pas moins tordu à sa façon : il y a mille façons d’être freaks.

Nul besoin de s’étendre sur l’histoire en elle-même : elle pourrait se résumer en deux lignes et là n’est pas l’important. Le jeu hypersensible des deux acteurs, la façon de filmer avec douceur, les jeux de décors et, bien évidemment, le travail sur l’image nous offrent un très beau film qu’il serait vraiment dommage de ne pas découvrir.

Et bon sang mais que fait un comédien aussi bon que Downey Jr dans les pitreries de super-héros ? Quel gâchis !

Quelques photos de Diane Arbus :


Orgueil et Préjugés

Il y aurait quelque chose de parfaitement saugrenu à rédiger une critique d’un roman vieux de plus de deux siècles : le temps a fait son œuvre d’écrémage, il est évident que c’est un grand roman. Si on peut discuter du goût qu’on en a, il serait rudement prétentieux d’aller contre deux cents ans de générations de lecteurs !

On peut par contre tout à fait parler un peu du contenu d’Orgueil et Préjugés, à l’attention des trois du fond qui comme moi ont un peu de retard dans leur pile de classiques non encore ouverts.

C’est indéniable : ce roman relève du mélo, mais ça n’est pas un gros mot. Évidemment, si vous êtes absolument insensible à Sur la route de Madison, la lecture pourrait ne pas vous être très agréable. Et c’est triste. Mais on peut tout de même trouver bien des strates dans cette œuvre qui pourraient tout aussi bien vous faire apparaître le mélo comme simple support.

On y trouve ce qu’on trouve dans une multitude de romans de la fin du XVIIIe à la fin du XIXe, de l’Angleterre à la Russie : le quotidien des familles aristocrates. C’est fou à quel point ces gens là, de par le monde, ne faisaient rien. Mais alors : vraiment rien. C’est sans doute de cet ennui que découlent aussi bien, dans une opposition quasi-parfaite, Les Liaisons Dangereuses et Orgueil et Préjugés. Dans le premier, nous sommes face à de petits aristocrates sans honneur alors que dans le second, il est brandi en étendard. On retrouvera aussi des traits communs avec L’Idiot, de Dostoïevski, roman plus tardif. Je suis presque sûre que Fiodor avait lu Jane.

Le niveau de langue est tout à fait accessible, bien plus que les deux romans pris ci-dessus en points de comparaison. Il me semble tout à fait abordable au niveau grand adolescent, et si vous doutez de pouvoir inciter le ou la vôtre à s’y plonger, commencez peut-être par leur proposer un visionnage préalable d’une adaptation un peu particulière.

Là, je suis sûre que vous pensez que je me moque de vous. Pas du tout. Il ne faut pas être sectaire. J’avais regardé ce film pour rire et en fait c’est plutôt bien foutu, et zombies mis à part, plutôt fidèle à l’esprit de l’œuvre. Je pense donc que ça constitue une porte d’entrée tout à fait respectable vers le roman.

Pour terminer de vous convaincre, il est important de préciser que Jane Austen ne manque absolument pas d’humour ni d’ironie. N’allez donc pas imaginer un classique chiant et larmoyant, ça n’est pas du tout ça. Un roman parfait pour les soirées d’hiver qui commence.


The Human Factor – Otto Preminger (1979)

En voilà un drôle de film ! Ça commence comme une comédie, pourtant quand on entend « Otto Preminger », on ne se dit pas « chouette, on va rire ! ». Et pourtant, si, on rit. Mais pas très longtemps. Peu à peu, les choses deviennent plus graves, plus pesantes et si la forme est celle d’un film d’espions assez conventionnel, le fond, lui, a bien des choses à dire.

Alors qu’en ce début de 21e siècle, le cinéma peine encore à filmer des couples composés de gens de couleurs différentes, dès 1979, Preminger ne s’est pas gêné, et ce pour mieux cogner sur l’Apartheid, et tant qu’à faire, pas avec le dos de la cuillère. Mieux encore, il dénonce la façon dont on tolère alors des choses intolérables sous prétexte de peur de l’expansion du communisme russe. Et comme si ce propos n’était pas déjà suffisant en soi, il a même trouvé un moyen de dénoncer en passant l’homophobie institutionnalisée de son époque !

Pour ce dernier film de sa carrière, il s’en prend donc au cynisme et à l’hypocrisie de l’Ouest, sans pour autant glorifier l’URSS. L’ensemble donne un film lucide, intelligent, et malheureusement pas du tout démodé.


Henry V de Kenneth Branagh

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Si vous le voulez bien, prenons un peu de distance avec la médiocrité ambiante et mettons nous un peu de Shakespeare dans les yeux et les oreilles : ça n’a jamais fait de mal à personne.

Henry V n’est pas la pièce la plus connue de l’auteur, et son adaptation cinématographique n’est pas non plus la mieux distribuée. Et pour cause : Kenneth Branagh n’avait pas trente ans quand il l’a réalisée. Il voulait proposer une adaptation accessible à tous les publics, mais ça ne se bousculait pas pour l’y aider. En fait, Henry V n’aurait jamais traversé la Manche sans l’intervention d’un certain Gérard Depardieu : séduit par le film, il mit la main à la poche pour le faire distribuer en France et effectua lui-même le doublage de la voix de Branagh dans la version française. Si Depardieu n’a pas toujours bonne presse, nul ne peut lui reprocher son amour sincère des lettres. Mais revenons à l’œuvre elle-même.

Henry V est à Shakespeare et à l’Angleterre ce que le Cuirassé Potemkine est à Einsenstein et à la Russie : une pièce dont on devine aisément qu’elle vise à participer à la constitution d’une unité nationale. Ce qui n’ôte rien à sa qualité. Shakespeare questionnait la légitimité et la responsabilité liées à l’exercice du pouvoir, Branagh le met en scène efficacement malgré des moyens limités.

C’est un très beau film, que je recommande chaudement dans sa version originale : je ne doute pas un instant de la qualité du doublage réalisé par Depardieu, mais le phrasé élisabéthain possède une beauté qui ne peut laisser insensible, même les oreilles non-anglophones.


Alexandre Nevski de Eisenstein

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Avant de parler du film lui-même, je vais commencer par une parenthèse. Je sais bien qu’on met habituellement les parenthèses plus loin dans le corps de texte, mais chacun fait bien ce qu’il veut.
La première fois que j’ai vu un bout de Alexandre Nevski, ça n’était pas du tout dans un ciné-club, mais dans la salle de télévision d’un asile de nuit pour humains fracassés, véritable Babel plus ou moins chaotique. Habituellement, cette salle de télévision était surtout utilisée pour regarder des matchs de foot, mais ce soir-là, Arte – si j’ai bonne mémoire – diffusait ce film, et tous les usagers russophones de la structure – et il y en avait ! – étaient non pas vautrés comme à l’accoutumée devant l’écran, mais concentrés sur ce qu’ils regardaient. En découlait un calme suspect en ces lieux. J’y pénétrais donc afin de vérifier que personne n’ait l’idée saugrenue de s’injecter là ou de planter une fourchette en plastique dans l’œil de son voisin, mais tout le monde était très calme, et un usager me tira par la manche pour m’obliger à m’asseoir et à regarder au moins un morceau de cette institution de la culture russe avec eux. Bien sûr, je n’ai pas pu tout regarder, mais pendant un bon quart d’heure, les usagers qui parlaient assez de français pour ça m’ont délivré un véritable cours d’histoire du cinéma russe et un magnifique décryptage des symboliques utilisées dans ce film. C’était passionnant en soi, et c’était aussi le dernier endroit où je me serais attendue à pareille œuvre didactique, preuve qu’on peut apprendre des choses en tous lieux et avec toutes sortes de gens.
Sur ce, revenons à Alexandre Nevski.

Eisenstein n’atteint pas là le génie dont il a fait preuve avec le Cuirassé Potemkine, certes. La propagande soviétique prend ici tout son sens. Dès les premières minutes, on nous explique bien que quiconque tentera de s’en prendre à la Russie finira découpé en rondelles : le message est clair et réitéré tout au long du film, ce qui en fait un document historique intéressant. C’est que nous sommes en 1938. Tout le monde a alors bien compris que la guerre totale est aux portes de chacun (à part les élus français, mais c’est une autre histoire), et Staline veut un message clair que Eisenstein réalise non sans talent. Car ce film est techniquement terriblement innovant. Eisenstein est l’inventeur de l’épopée cinématographique, du film à très grand spectacle. Les scènes de combat sont tournées avec des techniques que personne ne connaissait à l’époque et qu’on utilise encore de nos jours : elles ne sont pas filmées de loin, mais au cœur même de la bataille. Ça n’a l’air de rien, vu d’aujourd’hui, mais en 1938, c’est une véritable révolution. Quand en plus tout le film est porté par la musique de Prokofiev, on ne s’étonnera pas qu’il fut quelque peu plagié plus tard par les créateurs de … Conan le Barbare ! Oui, je sais, ça fait un choc, et pourtant, c’est vrai et vérifiable. On comprend devant ce grand spectacle aux centaines de figurants et aux effets spéciaux innovants (et encore crédibles aujourd’hui) que Alexandre Nevski marqua son époque, et pas seulement en Russie.

Au-delà, les occidentaux seront – encore aujourd’hui – très étonnés par certaines images. On n’imagine pas un film américain tout public où on montrerait l’armée des méchants jetant des enfants et des nouveaux-nés dans les flammes face à la caméra : ça ne se fait pas. Pour les Russes, ça ne pose pas de problème particulier. Vous ne verrez pas une goutte de sang, mais vous verrez vraiment un méchant lancer des bébés sur un bûcher. C’est à ce genre de « détails » qu’on comprend mieux les différences de cultures : les Russes aiment la tragédie et n’hésite nullement à la mettre en scène sans filtre ni gant. On découvrira aussi que les méchants n’ont pas de visage. L’armée ennemie, toute vêtue de blanc, est casquée de bout en bout du film. C’est bien simple, les guerriers d’en face ressemblent tant à des robots qu’il n’est pas illégitime de se demander si les stormtroopers de Lucas n’auraient pas une sorte de parenté avec ces guerriers casqués.
Oh, je vois bien que vous pensez que j’exagère ! Mais je vous suggère de (re)voir Alexandre Nevski, je suis certaine que vous ne trouverez pas ça si exagéré que ça.


Onibaba de Kaneto Shindō

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Voilà un excellent film que vous ne regarderez pas en famille. Évidemment, vous êtes parfaitement libre de faire comme vous le souhaitez, néanmoins, outre la présence quasi-permanente de tétons à l’écran, je suis certaine que vous ne voulez pas expliquer à vos enfants pourquoi la vieille dame à tête de sorcière se masse les seins en se frottant à un arbre mort.

Maintenant que j’ai votre attention, voyons le reste.

Et commençons par ce qui me tient toujours à cœur au cinéma : la photographie. Dans Onibaba, elle est superbe. Vous pouvez mettre le film en pause absolument n’importe où et vous aurez une magnifique photo à l’écran. Je crois que je n’avais pas vu
une photographie aussi bien pensée et réalisée de bout en bout depuis le Barry Lyndon de Kubrick : c’est dire !

Bien sûr, ça ne suffit pas à faire un film. Mais rassurez-vous, tout le reste se tient autant. L’ouverture se fait sur une salve de taiko qui vous attrape tout de suite par les tripes.
– Si vous ne connaissez pas les tambours japonais, je vous invite à aller en écouter : ces machins-là vous réveillent l’instinct guerrier ; deux minutes d’écoute et vous voilà debout sur le canapé brandissant un katana, prêt à en découdre. C’est redoutable. –

Le reste de la musique est à la fois discret et terriblement efficace. Et pas très binaire : c’est japonais.

Enfin, il y a l’histoire elle-même. En temps de guerre, deux femmes tuent des soldats pour mieux les dépouiller. Voilà pour la base, je n’aime pas révéler les intrigues, mais sachez qu’on parle ici de la force du désir, de la peur, de la superstition, de la manipulation et tout cela s’entremêle.
S’il vous est inconfortable de regarder des films japonais sous-titrés, sachez que celui-ci est fort peu bavard : vous n’aurez pas grand-chose à lire et c’est très bien comme ça.
Une bien chouette découverte que je vous recommande chaleureusement.


The Fly (1958)

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Il faut toujours préférer l’original à la copie, mais encore faut-il savoir qu’il y a eu un original. Pour ma part, j’ignorais jusqu’à hier que le film « La Mouche » en avait un, sorti en 1958.
Je n’avais pas du tout aimé le film de 1986. Je n’aime pas les films qui essaient de me faire peur avec des trucs gluants, justement parce qu’ils n’arrivent pas à me faire peur. J’ai plutôt tendance à trouver ça pathétique.

Il n’y a rien de gluant dans le film de 1958. C’est qu’à cette époque, on était sacrément limité du côté des effets spéciaux, alors plutôt que de faire de la forme, on était bien obligé de proposer du fond quand on voulait faire dans le fantastique.

Évidemment, en 1958, les mœurs étaient différentes, si bien que le rôle féminin manque quelque peu de crédibilité. Cela dit, en 2016, c’est encore très courant, au cinéma. Ce détail mis à part, le récit est foutrement bien construit, mais surtout, il y a la dernière image, terrible malgré les effets spéciaux dépassés. En fait, on m’a dit qu’ils étaient dépassés, mais cette dernière image est si terrorisante, si bien amenée, que je ne m’en étais même pas aperçu. Non, ça m’a plutôt coupé la voix et scotchée au canapé. Si tout le film est sobre, les cinq dernières minutes ont réussi là où la version plus récente a échoué : elles m’ont épouvantée.

Si vous non plus vous n’avez jamais vu cet original, je vous le recommande chaudement, mais je ne vous conseillerai pas de le regarder avec vos enfants.


Sicario

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Quand j’ai entendu que quelqu’un allait tourner une suite à Blade Runner, j’ai eu peur, et ça a duré. Et puis, je suis tombée un peu par hasard sur Sicario de Denis Villeneuve. Et j’ai pris une claque qui fait du bien.

On a ici tout le contraire d’un film manichéen : pas de bons, pas de méchants, seulement des acteurs crédibles dans leur rôle respectif. On a aussi une débauche de technicités pour un rendu d’une grande sobriété. Tout est carré et millimétré, rien n’a été laissé au hasard. La bande son maintient la tension avec beaucoup de finesse, les plans sont parfaits, les couleurs sont irréprochables, le scénario est efficace, les acteurs sont excellents, la réalisation est parfaite, rien de moins.

L’ensemble est de la même famille de réalisme que Démineurs, de Kathryn Biggelow. Ici, pas de fusillades dans tous les sens. Même quand le chef d’une opération annonce « feu à volonté », les balles ne sont pas utilisées pour faire du grand spectacle à peu de frais : chacune tue. Au fil du récit, on atteint le même degré de perplexité que le personnage central, un rôle féminin, ça change.

Je suis tombée sur Sicario par hasard, et c’est seulement ensuite que j’ai réalisé que c’est Denis Villeneuve qui doit réaliser la suite de Blade Runner. Tout n’est pas perdu : s’il est aussi exigeant pour l’un que pour l’autre, une suite pourrait enfin ressembler à quelque chose.