Stop aux violences contre les femmes !
Stop aux violences contre les homosexuels !
Stop aux violences contre les Juifs !
Stop aux violences contre les Musulmans !
Stop aux violences contre les Chrétiens !
Stop aux violences contre les jeunes !
Stop aux violences contre les vieux !
Stop aux violences contre les noirs !
Stop aux violences contre les asiatiques !
Stop aux violences contre les transexuels !
Stop aux violences contre toutes les catégories de gens que j’ai oubliés, complétez par vous-mêmes !
J’ai une mauvaise nouvelle. Vous me direz que j’ai rarement de bonnes nouvelles et je ne peux pas le nier, mais celle-ci va vous faire beaucoup de peine : tout cela est une escroquerie intellectuelle. On ne stoppera jamais les violences. On peut éventuellement les réduire, on peut en canaliser une partie, on peut les condamner par diverses peines a posteriori – en essayant de ne pas oublier que maintes condamnations sont aussi des violences en soi – mais on ne stoppera jamais les violences, parce qu’elles font partie de ce qui constitue l’humanité.
Prenons le gars qui nous disait de tendre l’autre joue face à la violence, par exemple. Il arrive à Jérusalem avec un petit creux. Alors il veut cueillir une figue, mais il n’y a pas de fruits sur l’arbre. Fâché, ni une ni deux, paf, il lui lance une malédiction «Que jamais fruit ne naisse de toi! Et à l’instant le figuier sécha. » (Évangile selon Saint Mathieu 21.18). Et le non-violent en chef ne s’arrête pas à cette violence contre un arbre, pas du tout ! Quand il se met en colère contre les marchands, il casse tout et fiche des coups de cordes aux dits marchands. Parce que fils du bondieu ou pas, c’est un humain avec ses accès de rage.
On peut prendre n’importe quelle culture à n’importe quelle époque, on ne trouvera pas la moindre tribu exempte de violence. Jamais. Nulle part. Le mythe du bon sauvage existe toujours. Nombreux sont ceux qui pensent que la violence est le fait de notre société, mais les humains qui vivraient en harmonie avec la nature seraient exempts de violence. Comme le nom l’indique, c’est un mythe. On l’a vu ces jours-ci, par exemple : un évangélisateur américain sans doute persuadé que le sauvage est bon par nature a fini ses jours criblé de flèches à l’approche des Sentinelles. Et c’est comme ça sur toute la planète. Les premiers blancs à avoir rencontré les Yanomamis d’Amazonie ont assisté à des conflits inter-tribus qui se soldaient par des massacres de nouveaux-nés, préférentiellement mâles. Et il en va de même pour les individus. Gandhi, grande figure de la non-violence s’il en est, était le dernier des salopards avec les femmes de son entourage qu’il forçait à dormir à poil avec lui sous prétexte d’éprouver sa résistance morale. Le consentement n’était pas vraiment son problème. D’ailleurs, pour ce qui est du consentement des femmes, l’enlèvement des Sabines est un mythe bien plus vieux que le capitalisme et la chrétienté, qu’on accuse souvent concernant la violence faite aux femmes, puisqu’il remonte à la fondation de Rome. Soit au VIIIe siècle avant le barbu de Palestine, à la louche. Ce mythe là existe d’ailleurs dans maintes cultures, et pour le coup, ça n’est pas vraiment un mythe : c’était une pratique bien réelle et une culture pas seulement ancrée chez les Romains. On retrouve des faits de mariages par enlèvement sur la terre entière, du Caucase à l’Afrique en passant par l’Asie centrale. Ça se pratique même encore couramment dans le Kirghizistan actuel, même si c’est théoriquement interdit.
Et le racisme, cette autre forme de violence ? Dans l’histoire comme dans l’espace, aussi déplorable que ça puisse être, il est la norme plus que l’exception. Nul besoin de démontrer ni d’illustrer sa réalité mortifère dans notre société actuelle, mais comment nommer autrement le conflit entre Tutsis et Hutus ? Et que dire de la xénophobie culturelle de la société japonaise ? N’avez-vous jamais entendu le racisme des Berbères à l’encontre des Arabes, et inversement, ou du racisme endémique au Maghreb à l’encontre des noirs ?
La violence et l’idiotie sont très équitablement réparties sur la planète.
Certaines sociétés ont plus ou moins réussi à encadrer la violence en la ritualisant : bacchanales pour les uns, sacrifices humains pour les autres – les peuples pré-colombiens semblaient particulièrement apprécier cette méthode – ou bagarres de fin de bal du samedi soir pour les moins imaginatifs. D’autres ont préféré rendre la violence utile : les Vikings ont connu une certaine prospérité en allant se défouler loin de chez eux. Quoi que tout bien réfléchi, ils cumulaient puisque certains de leurs rites étaient loin d’en être exempts. D’autres encore en ont fait des sports. En Asie centrale, on fait du polo avec des carcasses de chèvres qu’on a parfaitement le droit de coller dans la tronche de l’adversaire avec élan. Plus près de chez nous, le Calcio florentin autorise à peu près tous les coups et personne ne trouve rien à y redire.
On peut ne pas apprécier ces méthodes, pourtant canaliser la violence en un temps et un lieu donnés permet de quelque peu pacifier les relations sociales au quotidien. Mais chez nous, on a opté pour une autre option : en prétendant lutter pour tout simplement stopper toute violence, on a surtout fait disparaître l’ensemble des espaces de déviance tolérée, si bien qu’elle finit par déborder de tous les côtés.
On promet actuellement à une génération entière des lendemains qui chanteront dans la paix et l’harmonie entre tous. A peu près toutes les religions ont prêché la même chose avec les résultats qu’on sait.
Le propos ici n’est nullement de prétendre qu’il faut laisser toutes les violences s’exprimer parce qu’elles sont intrinsèquement liées à notre nature. Bien sûr qu’on ne peut pas laisser tout un chacun trucider son prochain à tout va sans réagir. Il est assez évident que l’instruction et l’éducation permettent de résoudre une partie du problème et il serait parfaitement stupide de ne pas chercher à réduire la violence autant qu’il est possible de le faire, de même qu’il est compréhensible qu’on cherche à la punir, encore faut-il que la punition ne soit pas pire que le mal. Et nos prisons étant des hauts lieux de violence, je me permets de douter d’un quelconque apport positif de l’usage des prisons dans la lutte contre les violences. Néanmoins, il faudra bien comprendre à un moment que quiconque prétend faire tout simplement disparaître les violences est au mieux un menteur. Et un menteur dangereux pour l’avenir.
Nous abordons un temps de l’humanité dont personne n’ignore qu’il sera d’une grande violence. Les dérèglements climatiques, l’accès à l’eau qui se tend, les grandes migrations qui en découlent provoqueront plus de violences encore, peut-être plus que ce que l’humanité n’en a connu jusqu’ici. Paradoxalement, la génération qui devra y faire face sera la moins bien armée pour y faire face. Plutôt que de prendre la violence pour ce qu’elle est, quelque chose qui fait partie de nous tous, on promet à cette génération de la faire disparaître. En fait, nous vivons déjà dans des sociétés ultra-violentes. Un mot de travers sur un réseau social, et c’est le lynchage médiatique assuré : une forme moderne de violence. Une opinion divergente peut donner le même résultat. On peut continuer à promettre l’inaccessible. Ou on peut se demander comment canaliser ces violences quand on y est sujet, et comment y faire face quand on en est victime. S’armer intellectuellement peut être un bon début. Mais cela demande de se détacher des passions modernes pour accéder à la raison. Et nous en sommes très loin.