Tempête

22h30


22h30 Oui, bon, ça souffle, mais on a vu pire.
0H00 OK, je ne suis pas certaine d’avoir déjà vu pire, même pas les orages en montagne.
3H30 Wow putain. La toiture ne va jamais tenir. La cabane de la vache doit déjà être par terre. Pourvu qu’il n’y ait plus personne en mer. Pourvu qu’il n’y ait personne dehors. Pourvu que les îliens aillent bien, ça doit être terrible, chez eux !

En général, quand il y a une grosse tempête nocturne, ça ne m’empêche même pas de dormir. La maison est solide, en presque trois siècles, elle en a vu d’autres, et de toute façon, il n’y a pas grand-chose qui puisse m’empêcher de dormir. Mais là… Je n’avais jamais vu une tempête pareille et j’aurais très bien survécu à l’idée de ne jamais en voir. La charpente émettait des craquements douloureux. Dehors, les arbres s’agitaient de façon tout à fait surréaliste. J’entendais une des vaches de mon voisin pousser des cris, ce qui n’était pas sans m’inquiéter, mais il était absolument impossible de sortir, c’était beaucoup trop dangereux. Même les chiens étaient en panique. Il y a eu une première coupure d’électricité vers 2h30, et puis à 4h00, plus rien. Vers 6h00, le vent s’est calmé et j’ai pu dormir un peu.

En me levant, j’ai regardé par la fenêtre en m’attendant au pire. Si la veille, je ne voyais pas ce que le terme de « bombe météorologique » signifiait, le premier coup d’œil dehors l’a vite éclairci : la clôture en bois a été arrachée, le toit du hangar semblait avoir pris une bombe laissant un grand trou béant, le grand eucalyptus qui a toujours résisté à tout avec souplesse avait perdu plusieurs branches, un gros conifère pourtant à l’abri du vent gisait au sol. Évidemment, je me suis précipitée dehors pour aller voir les bêtes, envisageant le pire. C’est presque un miracle : la cabane de la vache et l’abri des chèvres ont tenu. Les animaux avaient la même tête que les humains : celle de qui a passé une sale nuit, mais personne n’était blessé. Par contre, un premier coup d’œil permettait de prendre la mesure des dégâts sur les arbres. Rien que chez moi : deux pommiers, deux châtaigniers, deux vieux rhododendrons – pourtant parfaitement à l’abri du vent croyais-je – et un vieux sureau déracinés, plusieurs autres arbres plus ou moins cassés. Certains s’en remettront, d’autres devront être abattus. Ça, c’est le bilan sur un hectare de surface : c’est comme ça partout.

Dans la matinée, il a fallu parer au plus pressé. Tronçonner l’arbre qui empêchait de sortir la voiture, ramasser ce qui pouvait être dangereux, vérifier chez le voisin que toutes ses bêtes allaient bien – et c’est le cas malgré un vieux bâtiment à demi effondré – on a retrouvé une des tôles à plusieurs dizaines de mètres. Ensuite, il fallait appeler les gens alentours pour s’assurer que tout le monde allait bien, sauf que le réseau était en carafe. A ce moment là, on entendait déjà des tronçonneuse de tous les côtés. Mon voisin agriculteur a commencé par dégager les routes et chemins encombrés d’arbres. Le maire faisait le tour de toutes les routes du village pour savoir où intervenir. Tout le monde était un peu groggy, certes par manque de sommeil, mais surtout parce que le carnage est profondément déprimant. A ce moment là, je pensais qu’on n’aurait pas d’électricité avant une bonne semaine.

L’après-midi, le vent était tombé, les routes dégagées : il était temps d’aller voir si tout le monde allait bien et si personne n’avait besoin de rien, eau, bouffe, médocs, piles, essence… Pas la peine que tout le monde prenne sa bagnole, une par secteur, ça suffit. D’autant qu’au-dessus des routes, il y avait encore beaucoup de branches qui menaçaient de tomber. Perso, il me fallait de l’essence pour le groupe électrogène, ma voisine avait besoin de piles… En route pour le bourg le plus proche qui, lui, avait toujours de l’électricité. Sur quinze bornes parcourues, ça n’était que carnage partout. Les arbres ont vraiment pris cher, beaucoup sont déracinés, encore plus sont cassés. Des lignes électriques et des câbles de téléphone gisaient au sol partout. Des poteaux ont été brisés net. Heureusement, la plupart des toitures ont tenu. Quelques bâtiments agricoles sont plus ou moins salement endommagés. Outre ces dégâts, ce qui donne une bonne idée de la violence du phénomène, c’est la charpie de bois et de feuilles qui recouvre tout, jusqu’aux vitres.

On a finalement été rebranché au réseau plus vite que je ne le pensais vu l’étendue des dégâts. Maintenant qu’on est certain que tout le monde va bien et qu’il ne reste plus qu’à tronçonner vient tout de même le temps du bilan.

Si les alertes ont bien fonctionné, elles sont venues 24h trop tard : l’alerte à vigilance rouge balancée sur les téléphone, c’est bien. A 18h30 un jour férié, quelques heures avant l’arrivée du pire, alors que ça fait 24h que les météorologues préviennent que ça va cogner fort, ça ne laisse pas le temps aux gens d’anticiper quoi que ce soit. Pour ma part, je n’ai pas attendu que la préfecture se remue pour me préparer, mais beaucoup de gens n’avaient ni piles ni bougies. Pire, avec le réseau de téléphone par terre, impossible pour les gens malades de prendre ou d’annuler des rendez-vous. Mais ça n’est pas nouveau qu’on soit mauvais en anticipation des risques en France.

Mention spéciale aux radios publiques d’information : locales ou nationales, elles sont d’une parfaite inutilité. Vous vous réveillez au milieu du chaos, sans téléphone, sans électricité, sans internet. Vous allumez donc la radio à piles pour savoir si les routes sont dégagées, comment avancent les travaux sur les réseaux, si les stations d’épuration fonctionnent normalement et donc si l’eau est potable. Vous avez droit à l’interview d’une chanteuse à la con au sujet de son dernier album sur la radio nationale et à l’interview de Bernadette qui a – comme tout le monde – passé une sale nuit et a un arbre tombé dans son jardin sur les radios locales. Aucune info pratique, rien d’utile. « Écoutez la radio » figure sur tous les sites de prévention des risques. J’ai testé pour vous : les seuls sur qui vous pouvez compter pour être informé, ce sont vos élus locaux. Et on en vient donc aux points positifs.

Parmi les gens qu’on remercie très vite, il y a donc les élus locaux – vu la tête qu’il a, je pense que m’sieur mon maire n’a pas dormi du tout depuis la tempête. Il y a aussi les agriculteurs qui n’ont pas mis deux heures à dégager les routes. Vu des villes, il est toujours de bon ton de leur cracher dessus, vu d’ici, on a tous l’air con sans eux. Personne ne leur a rien demandé, ils ont fait ce qu’il y avait à faire par eux-mêmes. Et puis on pense aussi à tous les techniciens d’Enedis. Ils ne doivent pas non plus dormir beaucoup en ce moment. On croise les camionnettes bleues partout, ils s’arrêtent à peine la nuit. Si les salaires étaient indexés sur l’utilité sociale, ils seraient riches. Et puis globalement, dans ce genre de situation, l’entraide fonctionne bien. En tout cas, à l’échelle de mon village, aucune personne isolée n’a été laissée sans visite.

Maintenant on se prépare à la deuxième tournée puisqu’on annonce une nouvelle tempête pour ce week-end : sur un réseau fragilisé, on s’attend à de nouvelles coupures. Mais maintenant que j’ai expérimenté une situation critique, je ne peux que confirmer ce que je radote depuis des années : soyez équipés pour encaisser les chocs. Éclairage, chauffage, nourriture, eau… Si vous comptez sur l’état pour subvenir à vos besoin en cas de problème, vous allez juste rester dans votre galère. Equipez-vous et soyez copains avec les voisins, il n’y a que comme ça qu’on encaisse.

Et si chez vous tout est électrique, y compris les volets, à vrai dire, comme j’ai mauvais esprit, le seul truc qui me vienne en tête, c’est : mouarf.

À propos de Tagrawla Ineqqiqi


10 responses to “Tempête

  • Le Monolecte

    J’avais raconté Klaus en son temps… Ça a pas mal changé nos perspectives météo.

    • Tagrawla Ineqqiqi

      Je crois qu’on ne se rend vraiment compte qu’une fois qu’on est devant un paysage dévasté. Et encore, moi ça va, je suis à 20 bornes dans les terres, c’est pas nous qui avons pris le plus cher. Et j’ai assez vite été rebranchée, il y a encore plein de gens pour qui ça n’est pas le cas. Ce qui est certain, c’est que je me suis félicitée d’avoir anticipé le pire et d’être bien équipée. Il y a des gens qui n’avaient même pas de quoi se préparer un café…

    • Le Monolecte

      Ça fait plaisir de savoir tu vas bien et tes bestioles aussi. 🫂

  • Aurelie

    Contente de savoir que tout va bien pour toi. En vacances sur la côte bretonne, on était aussi dessous cette tempête et ce que tu décris est encore loin de la réalité quand on ne l’a pas vécu. Comme toi je me suis réveillée à 2h et j’ai cru que le toit allait nous tomber sur la tête.
    On avait aussi prévu des stocks et heureusement l’électricité est revenue dans la journée, ce qui est très rapide au vu des dégâts !

    • Tagrawla Ineqqiqi

      Je reste vraiment époustouflée par le taf réalisé par les techniciens de l’électricité. Quand on a vu tous les câbles par terre et les poteaux arrachés, on s’est dit qu’il allait falloir prendre notre mal en patience. Je n’aurais pas pensé à râler même après une semaine sans jus. Et pourtant, râler, c’est ma spécialité.
      On a aussi eu de la chance que ça cogne la nuit, en pleine journée il y aurait sans doute eu un bilan humain autrement plus lourd.
      Je n’irais pas jusqu’à parler de traumatisme, je laisse les mots lourds de sens aux gens qui sont sous les bombes, mais ça m’a bien secouée quand même…

  • Anne

    Merci pour ce compte rendu au cœur de la tempête et soulagée de savoir que personne n’a été blessé autour de vous. Tristesse pour les arbres, mais joie pour la solidarité du quotidien.

  • lizagrece

    Bravo à la solidarité entre agriculteurs !

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