Mon oncle raciste ou les électeurs du fascisme

Évidemment, comme tous les lendemains d’élection présidentielle depuis 2002, chacun y va de son analyse sociologique au doigt mouillé de l’électeur du parti fasciste. Et comme à chaque fois fleurissent les « tous fascistes ». Si seulement ça pouvait être si simple !

J’ai un oncle qui non seulement est un électeur de le Pen, mais encore a-t-il figuré sur une liste municipale d’un des caciques du parti dans une ville très pauvre du Nord. Est-il fasciste ? Honnêtement, je pense qu’il n’a ni la culture ni les moyens intellectuels d’appréhender la question. C’est un ouvrier à la retraite, si pas analphabète en tout cas illettré, ayant eu une fin de carrière compliquée par une maladie grave, avec une minuscule retraite. Il a beaucoup d’enfants, aucun n’a accédé ne serait-ce qu’au bac. Le plus diplômé a un CAP, les autres bidouillent dans les coins, font un peu d’interim complété par des déclarations pas toujours honnêtes concernant les aides sociales, parfois avec des activités encore plus illégales. Enfin, pour les garçons : les filles se marient très jeunes et ne travaillent pas. Tous sont grossiers, aucun n’a une maîtrise correcte de la langue – et c’est pire pour la génération des petits-enfants. Sa femme n’a jamais travaillé. Ils ne sont jamais partis en vacances. Ils sont très endettés, d’autant qu’ils sont victimes d’une société de consommation qui fait croire aux gens qu’ils n’existent que par ce qu’ils possèdent.

Comment un gars comme lui se retrouve sur une liste avec une figure nationale du parti fasciste ? Eh bien justement parce que c’est un bidouilleur. Il connaît tout le monde – de toutes les couleurs – et tout le monde le connaît, parce que s’il est plein de défauts, ça n’est pas non plus un égoïste, au contraire. Il peut tenir des propos immondes à l’égard de plusieurs catégories de la population et dans la minute qui suit passer sa journée à rendre service à un des membres d’une de ces catégories sans jamais être capable de voir la contradiction. C’est quelqu’un qui va répéter partout qu’il y en a marre des gens qui fraudent les allocations sociales en ne se rendant même pas compte que c’est exactement ce que font ses propres enfants. Ça n’est pas un idéologue. Il ne sait même pas ce qu’est une idéologie, et je vous assure que je n’exagère en rien. Mais c’est un type que le cacique est venu voir pour lui déverser tout un tas de compliments sur lui, son travail et sa famille. C’est un type qui n’« était rien », comme disait l’autre, et à qui on a proposé de devenir une figure sinon respectable en tout cas reconnue de sa ville. C’est un type aussi capable d’être gentil que bête, un gars facile à manipuler pour quiconque a une vague aura nationale et une maîtrise correcte du français. Et tout cela se déroule dans une des premières villes désindustrialisées et abandonnées par l’État, une des villes où la proportion de bénéficiaires du RSA est la plus élevée, avec un chômage énorme, des problèmes de santé publique gigantesques et un total abandon par ce que fut la gauche. Quand jadis le PCF et les syndicats proposaient des activités culturelles, sportives, d’éducation populaire, aujourd’hui, il n’y a plus rien, et certainement pas de l’espoir.

Fort heureusement pour tout le monde, cette liste a perdu. Et depuis, j’ai coupé les ponts, parce que j’ai beau savoir que ça n’est pas un homme mauvais, j’ai beau savoir qu’il aurait choisi n’importe quel camp qui lui aurait promis un peu d’importance symbolique, la multiplication de ses propos racistes est devenue insupportable. Mais je ne pourrai jamais le détester vraiment.

Est-ce que tous les électeurs du parti fasciste sont fascistes ? Je crois qu’une bonne partie qui reste à mesurer est juste paumée. Beaucoup de gens n’ont plus rien à espérer et plus grand-chose à perdre, et le premier vendeur d’idées pourries bien emballées qui passe fait recette.

On ne sortira pas de la situation politique dans laquelle se trouve le pays sans sortir tous ces gens de la galère, sans recréer des syndicats forts ni sans éducation populaire. Autant vous dire qu’il y a peu d’espoir qu’on en sorte. Mais n’en déplaisent aux gens qui n’ont pas la moindre idée de ce qu’est de vivre en se serrant la ceinture sans aucun exemple de réussite personnelle au sens communément admis sous les yeux, je reste persuadée que les électeurs des fascistes sont et restent les premières victimes des politiques qui ,après les avoir abandonnés, les a maltraités. Et les expressions du dégoût des bourgeois renforcent, élection après élection, leur adhésion aux populismes.

À propos de Tagrawla Ineqqiqi


7 responses to “Mon oncle raciste ou les électeurs du fascisme

  • O-B Guy

    Bonne analyse du fond de ce « ralliement inconscient  » de plus de 50% des votants à ce parti .

    • Tagrawla Ineqqiqi

      Ça ne sert jamais à rien de taper sur les pauvres, sauf à aggraver le problème. Et c’est pourtant ce qui est systématiquement fait. On traite les chiffres comme s’il n’y avait pas des vrais gens derrière, c’est insupportable.

  • Picart

    Quelle bonne analyse ! nous avons tous des « oncles » ……..

  • David Gilbert

    J’ai eu cette conversation hier avec un ami ! Est ce qu’on peut taxer tous les électeurs de l’extrême droite comme étant des fachos ? Je suis comme toi, pas vraiment sûr que ce soit le cas car la plupart comme tu le souligne n’ont pas les « capacités » d’appréhender la notion de fascisme
    Très beau texte encore, empreint de ton vécu !

    • Tagrawla Ineqqiqi

      Après, ‘faut pas se voiler la face, il y a beaucoup de vrais gros fascistes dégoûtants, mais m’est avis qu’ils n’ont pas le même budget mensuel. Et que même si tous ces électeurs ne sont pas fascistes, ils ont quand même en commun un gros fond de racisme …

  • Viviani

    Bonjour Tag, Marguerite etc ^^
    Ou puis-je te lire ? Je t’ai encore perdu

    Isabelle Valberg.

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