« Faire propre », ce mantra destructeur

Les oiseaux font un boucan de tous les diables, on croise toute sorte d’insectes volants – qui parfois viennent se suicider dans un œil ou une bouche ouverte, c’est le défilé des caparaçonnés au sol, les têtards grouillent dans les mares, ici et là, quelques fleurs sauvages offrent leurs touches de couleurs aux yeux et leur pollen aux butineurs, les ronces reprennent de la vigueur, la floraison des prunelliers et des merisiers touche à sa fin : on n’attend plus que les hirondelles.

Un petit talus avec une haie

Alors que l’époque est aux naissances ou à la préparation de leur arrivée, un agriculteur proche a décrété que ça ne faisait pas propre et a décidé de remédier à ce dégoûtant spectacle en ratiboisant les talus et en hachant finement tout ce qui s’y trouve jusqu’à plusieurs centimètres de profondeur par endroits.

Les talus sont à la fois un habitat et un réservoir de nourriture pour un paquet d’êtres vivants, végétaux et animaux. Les bestioles à carapace en ont absolument besoin, certains oiseaux nichent dans les parties les plus denses de leur végétation, on y butine, les petits mammifères s’y installent volontiers et d’autres plus gros viennent les y manger.

Un beau talus bien foutraque

A chaque fois qu’on maltraite un talus, on détruit des milliers de vies. En ce moment même, alentours, des dizaines de talus sont en train de connaître un triste sort.

Et c’est pas le pire.

« Pour faire propre. »

Ça n’a pas l’air comme ça, mais le talus en bordure de bois et tout ce qui y vivait ont pris cher.

J’aimerais dire que c’est un truc de vieux qui tend à disparaître, mais le responsable du massacre est trentenaire.

Outre l’irrespect absolu de la biodiversité qu’il constitue, ce saccage est aussi une hérésie climatique. Connaissant un peu le tracteur utilisé, on peut compter 12l/h pour réaliser ce type de travaux. L’agriculteur en question a l’air parti pour faire tous ses talus, ça lui prendra probablement une quinzaine d’heures, soit environ 180 litres. Ça n’est pas un calcul très précis, je vous l’accorde, mais les échelles ne sont pas déconnantes. Si c’est le cas, nul doute que des agriculteurs le referont le en commentaire ( pour ceux que ça amuserait, le tracteur fait 90 cv). Il semble que le pétrole ne soit pas encore assez cher pour qu’on en gaspille encore de la sorte.

Et tout ça pour « faire propre ».

Là, y’avait des fleurs.

Quand il n’y a pas de vie, c’est propre.

A ce rythme, la planète sera bientôt très propre.

Addendum : Qu’on ne vienne pas me faire dire ce que je n’ai pas dit : fort heureusement, tous les agriculteurs ne saccagent pas ainsi les talus. Le précédent exploitant de cette ferme, par exemple, n’en faisait qu’un entretien minimal et ciblé, concrètement, il y coupait son bois sans tuer les arbres, sauf s’ils devenaient dangereux. Dans une autre exploitation, un peu plus loin, d’autres ont replanté des haies denses pleines de fruitiers et n’y touchent plus. Certains, encore, confient leurs talus à l’expertise de biologistes étudiant justement la biodiversité.

En outre, les agriculteurs n’ont pas le monopole de ce type de carnages : les communes les pratiquent largement le long des routes, non tant pour des questions de visibilité pour les conducteurs qui pourraient à la limite être défendables, non, toujours selon cette insupportable bêtise : « faire propre ».

Je remets un petit talus avec un bébé-haie, sinon, c’est déprimant.

À propos de Tagrawla Ineqqiqi


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