L’agriculture à la loupe

Il y a mille choses qui m’inquiètent concernant l’avenir de notre agriculture, et pouvoir observer la manière dont sont structurées les exploitations ajoute des sujets d’inquiétudes supplémentaires.

J’vous explique.

Il existe plusieurs statuts possibles pour une exploitation agricole : l’exploitation micro-agricole (ça c’est que des bio débarqués de la ville), équivalent de la micro-entreprise, l’exploitation individuelle, l’EARL, qui est l’équivalent agricole de la SARL, la SCEA, ça peut aussi être, quoique rare, une SA ou une SARL et le GAEC. C’est ce dernier acronyme qui m’inquiète.

Le GAEC, ça veut dire « Groupement agricole d’exploitation en commun » et c’est ce qui explique une bonne part de l’augmentation de la taille des exploitations. Je vous épargne les détails parce qu’on s’en fout, mais en substance, il s’agit de structures co-gérées par plusieurs agriculteurs ou agricultrices qui mettent les moyens en commun : terres, cheptel, machines, outils de production. En soit, ça n’est pas déconnant, ça permet entre autres des économies d’échelle. Le souci, c’est que 100% des GAEC que j’ai vus jusqu’ici sont des GAEC familiaux, et 80% impliquent les parents, les enfants et éventuellement les conjoints des enfants. En soi, ça n’est pas un souci. Sauf que…

Sauf qu’à un moment, les parents prennent leur retraite. Ils doivent donc vendre leurs parts à un repreneur. Il faudra donc bien à un moment que des gens extérieurs à la famille s’installent dans une ferme gérée par une famille. Or personne n’a envie de se retrouver seul au milieu d’une fratrie conjoints compris parce que c’est un incommensurable nid à emmerdes. Donc les GAEC ne survivront pas au départ en retraite de la génération la plus âgée, et aussi la plus nombreuse dans le milieu. Et personne ne peut prédire ce que deviendront les terres et le reste dans ce contexte. La disparition pure et simple de l’exploitation et la vente à la découpe des terres est le plus probable. Ce qui engendre le point d’inquiétude suivant.

Le nombre d’élevages est en recul. Les rares jeunes qui s’installent ne veulent plus trimer dans les élevages laitiers qui sont de loin les plus contraignants et les moins rentables. Les animalistes s’en réjouissent mais c’est seulement parce qu’ils se contrefoutent de ce que ça implique. Déjà, comme la consommation de produits laitiers et de viande, elles, ne bougent pas beaucoup, ça implique plus d’importations. Fuck le bilan carbone. Ensuite, les terres qui ne sont plus utilisées pour l’élevage passent en culture de céréales. Qui nécessitent beaucoup plus d’intrants, c’est à dire de fongicides, pesticides et autres trucs en -ides, plus de travail des sols que les pâtures donc de pétrole, re-fuck le bilan carbone, et d’autant plus d’engrais de synthèse, qui nécessitent à la fabrication une blinde de gaz et de la potasse d’importation rerefuck le bilan carbone, qu’il n’y a plus de fumier. Et que les terres à pâtures sont de base pourries pour les céréales sans intervention chimique. Tout ça implique donc une plus grande pollution des sols et des eaux de surface. Qui finissent au robinet après avoir ravagés les rivières.

Dernier point observé : la plupart des agriculteurs ne sont propriétaires que d’une partie de leurs terres, ils louent le reste qui appartient généralement à d’anciens agriculteurs partis en retraite. Certes les locataires sont prioritaires pour le rachat quand le propriétaire décède, mais ils n’ont pas forcément les fonds. Et les banques ne prêtent qu’aux riches, ou que si les acheteurs s’engagent à réaliser des « investissements » conséquents, c’est à dire que les banques ne prêtent qu’à ceux qui feront plusieurs prêts parce que c’est là-dessus qu’elles s’engraissent. Les banques font de l’élevage d’éleveurs. Un éleveur qui fait faillite peut potentiellement lui rapporter en matos et structure à revendre. Comme aux États-Unis au moment de la grande dépression, on en est toujours là. On peut compter sur des investisseurs pour se tenir en embuscade.

Il existe des tas de solutions pour remédier à ce bazar, mais aucun politicien pour le faire. Ils préfèrent globalement les investisseurs aux agriculteurs. Il y a longtemps que je pense qu’il va faire faim, mais à mettre le nez encore plus près des réalités agricoles, je ne peux qu’en conclure que ça va arriver plus vite que je ne l’imaginais, et que les conséquences du modèle actuel ne se limitent même pas à la seule faim.

À propos de Tagrawla Ineqqiqi


2 responses to “L’agriculture à la loupe

  • lizagrece

    Réflexion intéressante. Sinon il peut toujours y avoir une dissolution de la GAEC et une création d’entreprise avec un autre statut non ?

    • Tagrawla Ineqqiqi

      Techniquement, rien ne l’empêche. Mais si on peut diviser les terres, on ne peut pas diviser les bâtiments d’élevage. Donc il est très difficile de faire 3 élevages différents d’un gaec qui était géré par 3 personnes.

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