10 ans de ruralité, ça fait quoi ? Épisode 2 : la fête

Cette année, je fête mes dix ans de bottes en caoutchouc, et puisque la mode est aux séries, je vous propose, avec une régularité aléatoire, une série de textes sur la ruralité, comment on s’y intègre, comment on la vit, comment elle nous change.

Chaque expérience est unique, il n’y a pas de mode d’emploi universel pour qu’elle réussisse, mais peut-être réussirons-nous à dégager quelques constantes.

Et voilà. Vous êtes installé à la campagne et vous êtes content, mais à part vos voisins, vous ne connaissez personne. Et comme vous voilà dans un environnement où vous n’avez pas vraiment de repères, vous ne savez pas forcément comment procéder pour aller à la rencontre des autochtones. Si vous avez de la chance, vous n’aurez rien de spécial à faire, car Christiane se présentera à votre porte pour vous vendre des tickets pour le repas du comité des fêtes lors duquel se tiendra une tombola, après quoi il y aura un bal.

Alors, non, pas ce genre de bal.

Si vous me demandez ma conception de la fête, ça risque vite de ressembler à un bal tzigane autour du feu au fond des bois qui dégénère en soirée punk-hardcore vers deux ou trois heures du matin, avec des tas de gens aussi mal coiffés que leurs chiens. Si l’on veut définir un repas de comité des fêtes : ça ne ressemble pas du tout à ça. Seulement Christiane ne m’a qu’à moitié laissé le choix. J’ai comme tout le monde été confrontée à des commerciaux, pas un seul n’arrive à niveau de hauteur d’orteil de Christiane quand il s’agit de vendre des tickets pour le repas du comité des fêtes. Elle est absolument redoutable : elle ne dit rien de particulier, mais elle vous fait sentir par je ne sais quel regard magique que si vous n’achetez pas un ticket « et si vous ne pouvez pas venir, on fait aussi à emporter », vous allez brûler en enfer, au moins.

Donc, j’ai pris un ticket et je me suis présentée à la salle des fêtes à l’heure indiquée. Et je ne m’attendais absolument pas à ce que j’allais découvrir.

Déjà : la salle des fêtes. Elle est assez grande pour contenir environ les trois quarts des habitants du village. Vous trouvez ça démesuré ? Oui, moi aussi. Jusqu’à ce que j’y pénètre et que je découvre que les trois quarts des habitants du village étaient déjà dans la salle des fêtes et qu’on était en train de déplacer des gens pour que tous ceux qui avaient un ticket puissent s’asseoir avant de voir si on pouvait laisser s’installer les imprévoyants qui n’avaient pas acheté leur ticket en avance.

Plusieurs centaines de personnes discutaient bruyamment quand l’armée constitutive du comité des fêtes se mit en branle. L’apéro fut servit et dès qu’il fut bu le potage suivit. Des dames, dont Christiane, accompagnaient les plats pour qu’on ne s’endorme pas dessus. Chaque plat fut présenté deux fois, et pendant tout le repas, tout le monde causant avec tout le monde, je découvris qu’on venait de tout le canton pour cette fête là. Une fois la tombola effectuée – je gagnais un égouttoir à pâtes vert fluo du meilleur goût – le dessert pris et le café avalé, on nous fit lever et toute personne valide fut mise à contribution pour replier et entasser les tables et aligner les chaises contre le mur. Car maintenant, on allait danser.

Les jeunes qui ne viennent pas pour le repas étaient arrivés pour la buvette. Les anciens s’amusaient à saouler les plus naïfs, mais en gardant un œil sur les vrais ivrognes pour s’assurer qu’ils ne fassent pas de bêtises.

Je suis allée me coucher bien avant la plus vieille des danseuses, parce que je découvris que ça n’a rien d’une légende : les Bretons, tu leurs mets de la musique, ils s’attrapent tous par le petit doigt et les voilà partis jusqu’au bout de la nuit.

Évidemment non : la salle des fêtes n’est pas si grande.

Depuis cette première expérience, je suis devenue bénévole pour le comité des fêtes, mais n’allez surtout pas croire qu’on m’ait demandé mon avis, ça ne marche pas comme ça. On m’a dit « tu te mets là » et je n’ai pas osé contrarier. Ça n’était pas discutable.

Ce repas était celui des fêtes d’automne, mais il y a aussi une grosse fête des battages à l’ancienne organisée par le même comité des fêtes, ouverte aux touristes qui financent nos fêtes à nous, il faut bien qu’ils servent à quelque chose ! Il faut encore ajouter la fête des bénévoles en hiver – ma préférée parce que ça n’est « que » quelques dizaines de personnes. Mais, comme dans quasiment tous les villages de France, outre le comité des fêtes, il y a aussi l’amicale laïque, l’association des chasseurs et celle des anciens. Chaque asso organise son repas, et il est de bon ton que chaque asso soit représentée dans le repas des autres, ne serait-ce que pour pouvoir comparer et dire que nous c’est mieux. Et il arrive aussi qu’on soit invité par un membre en remerciement d’un service rendu (je vous conseille le service rendu aux chasseurs, on ne va pas se mentir : c’est la meilleure table).

Un autre moment fondamental dans l’année, en tout cas en Bretagne, ce sont les fêtes patronales. Vous pensez peut-être ne pas être concerné. En tout cas, moi je ne me pensais pas concernée. Et puis un jour, alors que je tirais des bières peinarde à la fête d’été, un ancien a commencé à m’engueuler :

« On ne te voit jamais aux fêtes patronales ! qu’il me dit

– Ben c’est que je ne suis pas catholique !

– Et ? Je ne vois pas le rapport ! »
Maintenant, je donne donc un coup de main aux fêtes patronales, que voulez-vous faire d’autre ?

Ne me demandez pas : je ne sais pas non plus à quoi ça correspond, mais ça a l’air important.

Il en va de même pour la fête de l’école : ne pas avoir d’enfant n’est pas en soit un motif recevable pour ne pas aller à la fête de l’école.

Je suppose qu’il y a des tas de manières différentes de rencontrer les gens en milieu rural, mais je doute qu’aucune soit plus efficace que d’aller aux fêtes, et mieux encore d’aller y donner un coup de main. Les comités des fêtes sont souvent maintenus à bout de bras par des personnes âgées qui sont toujours contentes de voir de nouveaux aidants, peu importe d’ailleurs d’où ils viennent. Mais surtout, ces fêtes sont des éléments structurants de la société locale. C’est là qu’on croise tout le monde : jeunes, vieux, élus, curé, vos voisins et ceux qui habitent plus loin, membres des autres associations, agriculteurs, artisans … C’est là que sont tous les gens dont vous aurez besoin un jour, et ils ont toujours besoin de bras pour organiser leurs fêtes. Croyez-moi : c’est un bon deal.

Et finalement, on peut trouver à s’amuser sur de la mauvaise musique des années 80 jouée avec conviction à l’accordéon et au bontempi, même avec des gens bien coiffés, bien que ça ne soit même pas obligatoire

NB : tout ceci relève du monde d’avant la pandémie. Il est encore bien trop tôt pour mesurer son impact sur ces formes particulières de sociabilité, d’autant que la même pandémie a engendré des changements parfois localement majeurs de la démographie.

Mais ça veut aussi dire autant de nouveaux bras potentiels pour remettre tout ça sur pied.

À propos de Tagrawla Ineqqiqi


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