La Maison de mes Pères, récit arctique

Si on me demandait de nommer mon écrivain préféré, je serais bien en peine de répondre, ou la réponse changerait en fonction de mon humeur, ou je ferais une très longue liste. Par contre, si on me demandait qui est l’auteur que j’ai le plus relu, je n’aurais pas la moindre hésitation : ce sont les racontars arctiques de Jørn Riel auxquels je reviens le plus souvent, parce qu’il y a là-dedans tout l’humour et la tendresse qu’il est possible de trouver dans un livre.

Je pensais avoir lu tous les récits arctiques de l’écrivain danois, et voilà qu’au hasard d’un fond de caisse dans une bourse aux livres, je découvre Un Récit qui donne un beau visage, dont j’ignorais l’existence. Et pour cause : il n’a pas été réédité depuis plus de vingt ans. Il s’agit du premier tome d’une trilogie nommée La Maison de mes pères, le deuxième étant Le Piège à renards du Seigneur et le troisième La Fête du premier de tout. Trois courts ouvrages, donc, dans lesquels je ne comprends absolument pas comment Jørn Riel arrive à raconter autant de choses en si peu de pages.

Quoi que la trilogie soit indépendante de la série des racontars, on en retrouve certaines caractéristiques, avec beaucoup de choses en plus.

Le narrateur est Agojaraq, un jeune homme métis qui nous raconte l’histoire de sa famille, c’est à dire de ses cinq pères trappeurs et de sa nourrice autochtone. On apprend en effet dès les premières pages que sa mère, autochtone également, a habité un certain temps avec les cinq trappeurs, venus des continents européen et américain, hommes pas tous moralement recommandables selon les normes occidentales. Agojaraq est né sans qu’il fut possible de déterminer lequel des cinq était son géniteur, tous devinrent donc pères. Sa mère quitta les lieux pour d’autres aventures sans emmener son fils, et l’on apprendra un peu plus tard comment ces hommes quelques peu balourds avec un bébé intégrèrent une vieille femme autochtone à leur famille. Et c’est sur la base de cette histoire de famille particulière que Jørn Riel construit la famille la plus saine et la plus épanouissante de toute l’histoire de la littérature.

L’auteur a une tendresse infinie pour ses personnages. S’appuyant sur sa propre expérience des grands froids, il nous raconte un univers beaucoup trop rude pour qu’on puisse se laisser aller à juger son prochain. La Maison de mes pères est une histoire de respect, de tolérance, parfaitement dépourvue de niaiserie. C’est drôle, tendre, parfois triste ou mélancolique, satirique quand il s’agit de parler du monde occidental et de ses normes, de son racisme, de sa propension à toujours se croire supérieur en tout. C’est un long voyage qui passe bien trop vite, écrit si simplement que c’est accessible à tous, mais avec une technique qui fait de chaque phrase un petit bijou en elle-même. C’est une œuvre qu’on termine en sachant qu’on y reviendra, parce que ça fait un bien fou.

Malheureusement, c’est introuvable en neuf, mais de drôles de gens en vendent en ligne des exemplaires d’occasion, et pour les possesseurs de liseuse, la version électronique se trouve très facilement. Ça serait vraiment dommage de se priver d’une trilogie aussi savoureuse et riche. Et si vraiment vous n’arrivez pas à vous la procurez, n’hésitez pas à vous rabattre sur les racontars arctiques.

À propos de Tagrawla Ineqqiqi


4 responses to “La Maison de mes Pères, récit arctique

  • Patricia Detaille-Larbanois

    Salut, je l’ai lu il y a peu en neuf, GAIA Collec KAYAK. C’est toi qui me l’avais fait découvrir (gratitude éternelle) et moi aussi j’aime le relire. Bonne nouvelle l’ensemble des racontars se retrouvent dans une très chouette bédé noir et blanc qui permet une nouvelle lecture RIEL – DE BONNEVAL – TANQUERELLE Racontars Arctiques l’Intégrale SARBACANE.

    • Tagrawla Ineqqiqi

      Merci, je vais regarder à ça, parce que forcément, maintenant, je vais vouloir l’offrir ! Je crois bien que je préfère cette série aux racontars. Par contre, les adaptations bd c’est déjà beaucoup moins mon truc.

  • colas009

    Merci !
    Vous donnez vraiment envie de le lire, extraordinaire.
    NB: j’aime bien que vous n’aimiez pas les adaptations BD… Vous participez à l’éternel.

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